C'est un lieu commun : il faut détruire pour construire. Maisons, immeubles, bureaux ou aéroports, peu importe. L'inverse, néanmoins - construire pour mieux détruire -, n'arrive jamais. Mais le site de Dugway Proving Ground, dans l'Utah, n'est pas un lieu commun. Depuis le début des années 40, à 140 kilomètres au sud-ouest de Salt Lake City, cette zone de plus de 3 200 km2 sert de champ d'expérimentations à l'armée américaine.
L'historien, sociologue et théoricien Mike Davis, auteur de Paradis infernaux, a consacré le chapitre introductif de son ouvrage Dead Cities (1), en 2003, à ce terrain ultraconfidentiel, difficile d'accès, où ont été testés, entre autres, des modèles de lance-flammes, des armes biologiques, toxiques, des techniques d'incendie. Sur quelques pages, le penseur marxiste, basé en Californie et considéré comme l'un des rénovateurs de la théorie critique de l'urbanisme, se penche sur un élément singulier de cette zone désertique : quelques bâtiments surnommés le «village allemand», copie conforme de constructions de Berlin, Hambourg ou Dresde, édifiés là pendant la Seconde Guerre mondiale pour que l'armée américaine s'applique à la destruction méthodique des cités en question.
A quelques dizaines de mètres de là, pour le même usage se trouvait un «village japonais», des baraquements sur le modèle des habitations de l'archipel nippon. Le tout formant un simulacre d'Europe et d'Asie en plein désert américain, un fac-similé des zones u