Attablés à l'Amère à boire, un de ces troquets montréalais proche de la fac, les pichets de bière se descendent aussi vite que les conversations s'échauffent. Une douzaine d'étudiants font le bilan du printemps érable à la veille des législatives qui devraient, selon les sondages, sonner la défaite de leur pire ennemi, le Premier ministre libéral sortant Jean Charest, l'homme qui a refusé de reculer sur la hausse des frais de scolarité. «Alors on a gagné ou on a perdu ?» interroge à la cantonade Carl, un petit brun aux yeux pétillants. Difficile de fanfaronner quand la force et la lassitude ont ramené les étudiants, qui la plupart travaillent et financent eux-mêmes leurs études, dans les établissements scolaires. «De gros sacrifices», explique Marilène, qui n'a pu terminer sa licence en juin et a déjà dû trouver un emploi. Difficile aussi de tout renier quand on vient de découvrir l'euphorie de la révolte. A l'université de Québec à Montréal, deux départements - arts et sciences politiques - font encore de la résistance. Mais qu'ils soient ou non restés grévistes, tous se sont posé la question de l'engagement politique. Charles ne comprend pas son ami Xavier qui prêche pour l'abstention. Il a choisi de militer à Québec solidaire, un petit parti de gauche qui n'a qu'un seul député, mais espère quatre nouveaux élus. «A court terme, dit-il, on a perdu, mais à long terme, c'est toute une génération qui a gagné le droit d'exister.»
«Gogo