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Libération
grand angle

Mikhaïl Khodorkovski Ecrits et châtiments

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Condamné à quatorze ans de prison, l’ex-patron de la compagnie pétrolière Ioukos livre à «Libération» un témoignage sur la vie carcérale en Russie.
par Mikhaïl Khodorkovski
publié le 4 septembre 2012 à 19h06

Souvent, je reviens en pensée à la question : qu’est-ce que la conscience ? Comment définissons-nous ce qui est «bien» ? De quoi avons-nous honte toute notre vie ? Quand la conscience parvient-elle à triompher de la peur, ou l’inverse ? Dans l’histoire que je vais raconter, j’ai changé le nom du héros.

Le témoin

Liocha Badaïev est un Bouriate ordinaire, d'un village perdu. Un visage large, rond, des yeux noirs, comme plissés en permanence. Ses parents, il ne s'en souvient pas, il a grandi avec sa tante. Il a fait deux classes à l'école puis a travaillé comme berger. Un jour de malchance, il s'est empoigné avec un voleur de moutons, lui a lancé une pierre, l'a touché à la tête. Mais le voleur était robuste et a vite retrouvé ses sens. Liocha a pris peur, il a paniqué et commis l'irréparable : il a frappé encore, et encore… Il s'est fait coincer par hasard, quelques mois plus tard, à mille kilomètres de la maison. Procès, condamnation pour meurtre : six ans et demi de prison. Plutôt juste, compte tenu des circonstances. Colonie pour mineurs, et maintenant la prison «pour adultes». J'ai rencontré Liocha dans les ateliers de couture. Un gars laborieux, silencieux, effacé. Quelque temps après, j'ai reçu une sanction et intenté un procès contre l'administration. J'apprends que Liocha est convoqué en tant que témoin. Aucun doute - il dira ce qu'on exigera de lui. En prison, les méthodes pour «convaincre» sont innombrables. Le jour du procès arrive. Tous les supérieurs sont rassemblés : le dir