Chercheur en philosophie au CNRS, Grégoire Chamayou vient de publier Théorie du Drone, qui se veut la suite de son précédent essai, les Chasses à l'homme. Il y expose les problèmes éthiques, psychologiques et juridiques que pose cette arme des temps modernes.
Comment un philosophe en vient-il à s’intéresser aux drones ?
Le drone, c'est un «objet violent non identifié», qui met en crise les catégories de pensée traditionnelles. Un opérateur appuie sur un bouton en Virginie, et quelqu'un meurt au Pakistan. Lorsqu'elle est écartelée entre des points aussi distants, où a lieu l'action de tuer ? Cela produit des crises d'intelligibilité dont la philosophie doit rendre compte. Ce livre, Théorie du drone, est la suite du précédent, les Chasses à l'homme : le drone armé est l'emblème des chasses à l'homme militarisées contemporaines. Et certains philosophes travaillent, aux Etats-Unis et en Israël, main dans la main avec les militaires pour développer ce que j'appelle une «nécroéthique» visant à justifier les assassinats ciblés. Il y a donc urgence à répliquer. Quand l'éthique est enrôlée dans l'effort de guerre, la philosophie devient un champ de bataille.
Les militaires auraient à ce point besoin de justifier l’usage des drones ?
Le drone apparaît comme l’arme du lâche, celui qui refuse de s’exposer. Il ne requiert aucun courage, il désactive le combat. Cela provoque des crises profondes dans les valeurs guerrières. Or les militaires ont besoin de justifications. C’est là qu’interviennent les «éthiciens militaires» : leurs discours servent à abaisser les coûts réputationnels associé