Juché sur des échasses, le clown blanc moque un dictateur brand issant une pancarte manuscrite : «Ne soyez pas sérieux, soyez vrais.» Rires et applaudissements. Comme chaque jour depuis plus d'une semaine, des milliers de Stambouliotes affluent en début de soirée vers la «république de Taksim», la place centrale du quartier situé au cœur de la partie européenne de la mégalopole du Bosphore.
Chaque soir, c’est à la fois une fête populaire et une manif où s’agitent les banderoles de tout ce que le pays compte d’organisations de gauche, des kémalistes aux trotskistes en passant par les communistes, les écologistes, les féministes et des groupes d’actions artistiques. Plus nombreux encore sont ceux qui viennent là simplement pour discuter ou boire une bière avec leurs amis dans la fumée des braseros où grillent des brochettes. La plupart y passent juste quelques heures, mais quelques centaines campent jour et nuit sous les arbres de Gezi, ce petit parc que les protestataires veulent sauver de la destruction, devenu un patchwork bariolé de tentes, stands et drapeaux.
Un mouvement sans leader, mais unanime
«Cette mobilisation est en grande partie spontanée, un fait sans précédent en Turquie. Et le plus étonnant, c'est que cela fonctionne», note Elise Massicard, chercheuse associée au Ceri-Sciences-Po et animatrice de l'Observatoire de la vie politique turque (Ovipot) fascinée, comme nombre d'intellectuels turcs, par la maturité de ce mouvement sans leader, composite mais unanime dans s