Sur la photo, j'ai environ 3 ans. C'est dans les années 50, au «jardin de Taksim» comme on l'appelait en français, Taksim bahçesi en turc. Juchée sur un faon en bronze, le long des balustres blancs comme il y en a au jardin du Luxembourg, mon geste imite celui d'Atatürk dont la statuaire, partout dans le pays, s'élance vers l'avenir. Le Père de la nation habite déjà mon inconscient.
Plus tard, à l’école primaire, j’apprends l’alphabet turc sous son regard bleu d’acier, guidée par une maîtresse d’école en blouse noire, comme les élèves. Par souci d’égalité, pour que les robes à smocks puissent côtoyer sur un même banc les pieds nus des pauvres.
Tout à côté du jardin, il y a «le casino de Taksim», les jeux d’argent y sont prohibés, mais des orchestres et des artistes de variétés étrangers s’y produisent. Ma grand-mère habite tout à côté et sous-loue une chambre à une Carmen qui ressemble comme deux gouttes d’eau à Gina Lollobrigida. Carmen est une jeune fille catholique, avec une grande croix sur sa belle poitrine, sa vertuest à l’abri chez ma grand-mère, une gentille veuve juive vêtue de noir.
Plus tard encore, j'ai 18 ans presque, filles et garçons juifs et musulmans, nous sortons dîner la nuit dans notre bel Istanbul, nous flirtons gentiment, la vie est si belle. Une nuit, après un dîner au Bosphore, nous allons nous bécoter très chastement sur les bancs du jardin de Taksim. Nous sommes huit à dix jeunes. Surviennent des gardiens de nuit, des bekçi, ils veule