Au moment où les rues et les places de Tunisie et d'Egypte ont commencé à s'enflammer, puis lorsque ces mouvements hétéroclites de protestation ont pris une ampleur telle qu'ils sont parvenus à débarquer les dictatures, quelques rares chercheurs - à ne pas confondre avec les «experts» - ont pris le risque de passer pour des rabat-joie en refusant de céder au lyrisme teinté d'orientalisme qui déferlait alors dans les médias occidentaux. Aussi réjouissant soit-il, le label de «révolution» leur semblait un dangereux obstacle à la connaissance de phénomènes singuliers complexes qu'étaient ces thawra, pour reprendre le mot arabe des manifestants. Forts d'expériences antérieures en Europe du Sud puis à l'Est, des transitologues s'en donnaient pourtant à cœur joie et les juristes s'engageaient dans d'hyperscolastiques concours d'ingénierie constitutionnelle. Trente mois et quelques votes plus tard, on s'aperçoit que la démocratie ne se résume pas aux élections et que, comme le note lucidement le sociologue Smaïn Laacher, «renverser une dictature, ce n'est pas modifier substantiellement les paradigmes qui sont au fondement de l'ordre social et des structures mentales». Les manifestations d'hier en Egypte sont venues rappeler avec force combien, loin des catégories normatives du droit ou des visions téléologiques de la philosophie, c'est d'abord la question sociale qui reste à l'origine de mobilisations dont l'issue demeure, par définition, marquée du sceau de l'inc
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