L'alerte a d'abord eu la saveur du métal dans la bouche. Lorsque les framboisiers ont roussi, quelques heures après la pluie, Jeanne n'a plus eu aucun doute : le nuage qui venait de survoler sa maison provenait d'Union soviétique. «J'ai su à cet instant que mon terrain venait d'être rincé par une pluie radioactive», assure cette jeune médecin de campagne. Nichée sur les contreforts du massif de Belledonne, en Isère, son ancienne bergerie se situe pourtant à 2 500 kilomètres du drame survenu il y a cinq semaines dans la centrale de Tchernobyl, en Union soviétique. A cinq jours d'écart, les réacteurs 3 et 4 ont explosé.
Glasnost. Malgré les milliers de pompiers volontaires dépêchés pour éteindre la combustion du graphite en fusion, la centrale largue son poison mortel depuis plus d'un mois. La semaine dernière, dans une allocution télévisée diffusée sur toutes les chaînes européennes, Mikhaïl Gorbatchev a évoqué un «grand malheur» touchant l'ensemble de l'Europe occidentale. Faisant fi des règles géopolitiques en vigueur en pleine glasnost et devant l'étendue du désastre, il a solennellement appelé à l'aide les autorités nucléaires allemandes et françaises, afin qu'elles envoient leurs meilleurs spécialistes. «C'est pire que dans mes pires cauchemars, a déclaré hier le responsable de la délégation française en arrivant sur place. Il faudra peut-être des semaines avant de mettre fin aux incendies.» Au début, les autorités françaises ont joué l