Le lieu d'où j'écris a la forme d'un pli, ou d'un littoral : là où la mer arrive sur la terre, dans ce creux-là, dans ce rouleau. Juste avant que la vague casse, dans le vide bref, renouvelé, sonore, j'aime penser que j'écris de là. Cet espace, je le trouve partout. Même en montagne, dans les rimayes, entre la neige et la pierre. Je le trouve au bord des fleuves, aux lisières des forêts, aux angles des trottoirs, et chez moi. Ce n'est pas le lieu d'un vertige, ni d'une chute ni d'un tourbillon. C'est un lieu mobile mais stable, un repère en mouvement. Je le trouve dans ma mémoire : à cheval sur la frontière, un pied en Espagne, un pied en France, je mesure un mètre de haut et je ne constate aucune différence d'un côté ou de l'autre : la même herbe très verte, les mêmes pottiok qui broutent, les mêmes collines sous le même ciel, le même soleil. Au loin, la mer sans faille. L'angle droit du creux ouest de l'Europe, au fond du golfe de Gascogne. Ensuite, j'ai voyagé. J'étais dotée d'un objet précieux : un passeport. Je pouvais m'offrir des visas, on ne me les refusait pas. J'étais née en France, de couleur blanche, c'est-à-dire beige clair. Il aurait fallu un monde où les passeports n'aient aucune importance : le monde tellurique, maritime et fleuvien, où d'un pied à l'autre la frontière ne se lit pas au sol. Il paraît que c'est un monde utopique, un monde pour les rêveurs. Je suis de là, pourtant. Un monde où l'histoire céderait le pas à la géographie, où l'espace s'a
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«J’écris d’un monde tellurique, fleuvien…»
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publié le 13 août 2013 à 19h06
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