Ce matin, le levant souffle avec force. Les pêcheurs du coin reconnaissent ce vent d'est à un indice qui ne trompe pas : les rares nuages s'accrochent comme de la barbe à papa au «rocher» de Gibraltar, immense paroi qui se dresse à l'horizon. «Normalement, on devrait tous être là-bas, dans la baie, à lancer nos filets, grogne Curro, 64 ans, en mer depuis l'âge de 8 ans. Mais voilà, on est à quai comme des imbéciles, et tout ça à cause de ces entêtés de Gibraltariens ! Pendant ce temps-là, pas de pêche, pas d'argent. Je n'ai jamais ressenti autant de rage.»
A La Atunara, le port de pêche de La Línea de la Concepción, ville espagnole frontalière, c'est la déprime. Sur la cinquantaine d'embarcations (qui font vivre environ 400 personnes), cinq seulement ont pris la mer vers l'ouest pour ramasser des melvas (petits thons) malgré le levant. Inutile d'aller vers Gibraltar, là-bas, la pêche est vouée à l'échec.
La quarantaine avancée, Salvador et Julian partagent le Santo Domingo, un bateau bleu et blanc, comme leurs parents et grands-parents. Eux aussi enragent contre «les cubes du hooligan Picardo». Le 24 juillet, prenant tout le monde par surprise, le ministre principal de Gibraltar, Fabian Picardo, lance en mer 70 blocs de béton au large du port de la colonie britannique, un des endroits de prédilection des pêcheurs de La Línea. Motif invoqué : «Régénérer la vie sous-marine, victime de la surexploitation.» Depuis, pêcher dans