Comme chaque soir depuis l’instauration du couvre-feu le 14 août, les chenilles des blindés couleur sable griffent l’asphalte, en bloquant les axes majeurs du Caire. Il est 18 h 45. Les automitrailleuses se positionnent et crachent un nuage de fumée noire pour bloquer l’accès à la place Tahrir. A cette heure-là, Le Caire s’est déjà vidé comme un siphon. Les rideaux de fer des magasins se sont abaissés. Puis à 21 heures, l’immense ville, d’habitude si bruyante, devient muette. Elle donne l’impression de s’arc-bouter, de gémir, d’agoniser sous les coups de klaxons des derniers taxis pris dans la nasse des check-points, puis meurt à 21 h 10.
Des voitures échouées dans les barrages tentent en vain de franchir les chicanes. Les chauffeurs de taxis éructent devant des militaires qui appellent un chef, puis un autre, pour signifier aux voitures de faire demi-tour. Mais il n’y a pas de demi-tour possible : la rue derrière s’est refermée sur eux. Celui-là assure être resté bloqué sept heures dans le quartier d’Abbassia et maudit l’armée, la presse étrangère, Obama, Merkel, Cameron et Hollande, sans reprendre son souffle.
Les mariages, d’ordinaire célébrés le soir, ont lieu à midi. Comme si Le Caire souffrait d’un décalage horaire. Ni vent, ni bruit, ni passant. Rien, sauf les chats dans les poubelles. Les serveurs des quelques restaurants ouverts attendent le client le torchon sur l’épaule. Des épiceries accueillent une clientèle de quartier. En bas de l’immense rue de Port-Saïd, dans