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Tunisie : disparus entre paradis et enfer

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Chassé par la révolution, Ben Ali laisse, début 2011, un pays en plein désarroi. La jeunesse y rêve d’avenir et d’Europe. Le 29 mars, Karim tente la périlleuse traversée vers Lampedusa. Depuis, plus de nouvelles, comme pour près de 350 jeunes migrants. Face à un silence peuplé de rumeurs d’enrôlement dans la mafia et d’images de naufrage, la mobilisation s’organise.
publié le 13 septembre 2013 à 18h06

Le 10 avril, Lamia Mbarek a décidé de mettre fin à la douleur de l’attente. Plus de deux ans à espérer, sinon le retour, au moins des bribes de nouvelles de son fils Karim, embarqué, à moins de 20 ans, vers les mirages de l’Italie. Lamia est montée sur le toit de sa maison. Un toit plat, aucun argent venu d’Europe n’ayant encore permis, comme souvent en Tunisie, de financer la construction d’un étage supplémentaire reconnaissable à ses briques orange transpercées de barres de fer. Elle a une dernière fois regardé le terrain vague coiffant une petite colline poussiéreuse et couverte de détritus. Au pied d’un immeuble, reposaient de gros ballots remplis de bouteilles plastiques, dont le ramassage est une des sources de revenus des habitants de Kabaria, ce quartier populaire du sud de Tunis.

Et puis Lamia s'est jetée dans le vide, la chute d'une dizaine de mètres mettant un terme à ses tourments et à son ultime question : où est Karim ? Son désespoir était assez puissant pour l'aider à oser un geste tabou dans l'islam, car on ne doit pas reprendre à Allah la vie qu'il a octroyée. Son mari, Nourredine MBarek, continue seul à se poser la question. Il tâche de faire tourner la maison, une situation inédite pour un homme, et de consoler ses deux autres fils, frustrés de ne pas pouvoir regarder leurs dessins animés quand leur père montre, encore une fois, les images de Canale 5, une chaîne de télé italienne, où l'on voit Karim courant sur la terre de Lampedusa. C'était le 29 mars 201