Un cri de joie a résonné le 28 août dans un quartier du Caire, signe d’allégresse rare dans la tourmente égyptienne. Ce jour-là, les habitants de Ramlet Boulaq ont donné une grande fête. Aucun rapport avec l’éviction de Mohamed Morsi ou l’avènement du général Al-Sissi : dans ce bidonville de la capitale où se disputent pro et anti - comme partout en Egypte -, les priorités sont ailleurs. Depuis deux ans, les Boulaqi se battent, dans la rue et devant la justice, contre la démolition du quartier et leur expulsion en masse. Et voilà qu’en cette fin août, un tribunal administratif a cassé, après trois ajournements, le décret d’expropriation du terrain signé par le gouvernorat du Caire. La victoire des habitants du bidonville rappelle la grande frontière intérieure de l’Egypte, plus marquée encore que celle divisant barbes et képis : celle qui sépare les riches des pauvres, les employés des pros de la débrouille, les locataires ou les propriétaires des habitants de logements informels.
A Ramlet Boulaq, cette frontière est tangible : elle est marquée par la rue Al-Sikka Al-Tougari, une artère étroite où les 4×4 doublent les carrioles dans un incessant brouhaha. D’un côté de la voie, au bord du Nil, des tours jumelles de style postmoderne, les Nile City Towers, 34 étages chacune, qui abritent ce que Le Caire a de plus clinquant : un centre commercial et ses franchises de luxe, un hôtel cinq étoiles, des bureaux, des centres diplomatiques, et le Tamaraï, boîte de nuit ultra-sélect ;