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TRIBUNE

Enfances amères et secondaires

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par Alejandro Zambra, Ecrivain
publié le 18 septembre 2013 à 21h38

«Ce furent, peut-être, / les plus belles années de ma vie», dit l'Espagnol Jaime Gil de Biedma au début de son poème J'essaie de formuler mon expérience de la guerre. J'ai éprouvé la même chose en pensant à la dictature et à mon enfance : cette distance entre le public et le privé. Je ne sais pas si mon enfance a été particulièrement heureuse, mais je suis sûr qu'elle ne fut pas triste. Et j'ai grandi pendant les années les plus horribles de l'histoire de mon pays. Tandis que j'étais plus ou moins heureux, des milliers de compatriotes étaient assassinés et torturés et le Chili se livrait au capitalisme le plus sauvage. Cette conscience, ainsi formulée pour la première fois durant l'adolescence, a changé le signe des souvenirs. Je veux dire : soudain, tous les souvenirs devinrent amers.

C'est pour ça, je pense, que beaucoup d'entre nous ne parlent pas de l'enfance. Nous n'avons pas cru que notre expérience était importante : nous sentions que nous n'avions rien à raconter, surtout si nous le comparions avec les témoignages de ceux qui avaient perdu leurs parents, leurs frères, leurs fils. Nous avons décidé de nous soumettre au deuil en silence. Nous écoutions, ça oui : nous avons essayé de bien écouter. Si, au lieu de nous taire, nous parlions, criions, réclamions justice, il y avait toujours quelqu'un pour nous dire : «Ferme-la, en ce temps-là, tu n'étais même pas né.» Et, bien sûr, sans aucun doute, les adultes étaient les protagonistes. A nous, ét