L'épuisement a pris le pas sur la colère. Restent deux yeux rougis de fatigue qui vous fixent régulièrement pour raconter un quotidien «infernal» à la centrale de Fukushima Daichi, défiant la peur de l'accident irréparable, le stress de la fuite radioactive sur ce site rafistolé et bringuebalant depuis mars 2011 (lire aussi page 38).
Shota (1) n'a que 19 ans et un visage glabre sous son bandana blanc. Mais il a déjà les cernes et la voix grave des ouvriers cassés par les pénibles conditions de travail, les missions raccourcies pour éviter les radiations. Il a une formule qui revient à plusieurs reprises et résume tout : «Mon travail n'est pas dur, c'est pire.» Il est chargé de «changer des tuyaux troués, rouillés et contaminés, utilisés pour le système de refroidissement et l'évacuation des eaux vers les réservoirs». Il intervient aux abords du bâtiment abritant le réacteur 1, dont le cœur a entièrement fondu. Et assure avoir travaillé près de zones très contaminées où l'exposition atteignait 1 millisievert (mSv) la journée, soit le vingtième de la limite annuelle fixée pour les travailleurs du nucléaire.
Originaire de Hirono, un bourg à une quinzaine de kilomètres au sud de la centrale, Shota travaille depuis six mois dans l'indifférence générale. «On ne parle pas assez de ce qui se passe ici. Les ouvriers de Fukushima sont abandonnés. Ce sont des humains jetables. On les prend, on les utilise et quand on ne peut plus s'en servir, on le