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TRIBUNE

On n’a rien à perdre quand on a 17 ans en Erythrée

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Un groupe de jeunes réfugiés érythréens dans un camp éthiopien, le 28 août 2011. (Photo Jenny Vaughan. AFP)
par Léonard Vincent, Journaliste et écrivain
publié le 28 octobre 2013 à 18h06
(mis à jour le 29 octobre 2013 à 12h08)

Les naufragés de Lampedusa ne sont pas des migrants, mais des évadés. Avant d’embarquer sur des bateaux de fortune dans l’espoir de gagner l’Europe, ils ont fui un régime de fer et, sur leur route, ont traversé des épreuves d’une cruauté inouïe.

Fuir l’Erythrée, ça commence dans le secret de la conscience. On se dit, un jour, que la vie peut changer. On peut en finir avec les anciens combattants fanatiques, les rafles, la bêtise, la peur, les mensonges stupides de la télévision d’Etat. Il suffit de passer la frontière.

On n’a rien à perdre, de toute façon. A l’âge de 17 ans, on est offert à l’armée. Envoyé faire ses classes à la cité militaire de Sawa, on est condamné à devenir la poupée docile des généraux qui se partagent le pays. Après dix-huit mois de camp, on est envoyé sur l’un des grands chantiers de la «nation en armes» du président, Issayas Afeworki. Cantonnier, maçon, manœuvre, domestique, serveur, fonctionnaire : on est à la disposition du parti unique, jusqu’à l’âge de 50 ans au moins. Il faut des permis pour tout, aller, venir, téléphoner. Les mouchards sont partout. La moindre incartade et c’est la bastonnade ou, au pire, la plongée dans le système concentrationnaire.

Alors la nuit, en silence, on prend la décision de partir, comme les milliers de compatriotes qui sont déjà de l’autre côté. L’ONU en compte entre 1 000 et 3 000 par mois, qui réussissent le passage. Il faut d’abord économiser 3 000 dollars (2 170 euros), en cumulant des petits boulots, en vendant le