Achille Mbembe fait partie de ces optimistes paradoxaux qui prédisent le pire, sans jamais perdre foi en l'avenir. Né au Cameroun, il partage sa vie entre Johannesburg, en Afrique du Sud, où il enseigne l'histoire et les sciences politiques à l'université de Witswatersrand, et à l'université Duke, aux Etats-Unis. Dans son dernier essai, Critique de la raison nègre, on retrouve ses thèmes de prédilection et en particulier le poids sur l'imaginaire d'une histoire tourmentée (la traite des esclaves, la colonisation). Elle a façonné une identité complexe, celle des Noirs, si longtemps «emprisonnés dans le cachot des apparences». Certes, l'esclavage a été aboli et la colonisation appartient au passé. Mais, aujourd'hui, de nouvelles formes d'aliénation apparaissent, l'Autre reste stigmatisé, et l'ogre capitaliste a atteint son rêve d'horizon illimité. Une fatalité ? Pas forcément, rétorque ce penseur qui nous invite à reconsidérer la géographie du monde.
Qui est nègre aujourd’hui ?
Est nègre une large catégorie de l'humanité qu'on pourrait qualifier de subalterne. Une humanité pour laquelle la grande tragédie, c'est de ne même plus pouvoir être exploitée. Alors qu'au XIXe siècle, la pensée de l'émancipation reposait sur l'idée de la sortie de l'aliénation, la réalité qui s'impose aujourd'hui est celle de la quête de l'auto-aliénation. Les pauvres cherchent à se vendre là où, autrefois, ils étaient vendus.
Et c’est ce retournement du mécanisme d’exploitation qui conduit à considérer