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Libération
Reportage

Mordovie, la privation à tout bout de camp

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En publiant une lettre ouverte, la Pussy Riot Nadejda Tolokonnikova a brisé le silence sur les colonies pénitentiaires héritées du goulag soviétique. «Libération» a rencontré d’anciennes détenues. Elles racontent la violence, les humiliations physiques et morales, le travail forcé…
A Lepley, en octobre. Chacune des 17 colonies mordaves est accolée à un village. (Photo Max Avdeev)
publié le 1er novembre 2013 à 18h06
(mis à jour le 12 novembre 2013 à 20h36)

Etendu sur le perron de la prison, l’homme ne respire plus depuis quelques minutes. Pourtant, sa femme continue de le secouer, se jette désespérément sur sa bouche inerte pour insuffler de l’air dans ses poumons, essaye de lui compresser la poitrine. Elle hurle :

«Volodia, Volodia, tu ne peux pas me laisser toute seule. Tu n’as pas le droit de mourir !»

Et puis, levant les yeux :

«Au secours, aidez-le ! Où est l’ambulance ?»

L’infirmière du camp se gratte la tête. Elle est arrivée trop tard pour secourir Vladimir, foudroyé par une crise cardiaque.

De toute façon, dans sa petite boîte à pharmacie, il n’y avait rien qui puisse aider ce retraité au cœur fragile. A quelques pas de là, des gardiens fument, en se demandant s’il faut ou non l’appeler, cette ambulance.

Vladimir et Raissa, la soixantaine fourbue, ont parcouru 1 500 kilomètres depuis Gelendjik, dans le sud de la Russie, pour voir leur fils, qui purge une longue peine au camp numéro 1, dans le village de Sosnovka, en Mordovie. Une visite de trois jours. Ils sont arrivés la veille et ont attendu près de vingt-quatre heures dans un petit cabanon collé à l’enceinte de la colonie. A ce genre d’audience, permise seulement à la famille proche - épouses, enfants, parents -, on vient chargé de victuailles. Les quelques mètres carrés du cabanon sont encombrés de sacs, valises, caisses de pain, œufs et jus de fruits. Les visiteurs arrivent directement du train, la veille ou le matin même à l’aube, et attendent que l