D'abord il y eut une photo, «un visage saisissant et un regard fixe qui transperce le papier». Un nom aussi, Manya Schwartzman, que lui souffle une vieille dame dans un petit appartement du XXe arrondissement parisien rempli des souvenirs d'une vie labourée par les tragédies du siècle, entre stalinisme et Shoah. C'était en Bessarabie, c'est-à-dire nulle part, dans une lointaine lime de l'Europe depuis toujours disputée entre Russes et Roumains où «quand les uns se sentent envahis, les autres se sentent libérés». Manya était sa sœur et il n'en reste rien, sinon quelques photos et l'ultime message envoyé en 1937 depuis l'URSS, cette patrie de la révolution où elle s'était réfugiée douze ans plus tôt, fuyant la police roumaine : «Ne venez pas nous nous sommes trompés.» Puis le néant. Nul ne sait quand elle a disparu, ni comment. A-t-elle été exécutée d'une balle dans la nuque ou est-elle morte de faim et de froid dans un goulag sibérien ?
Révoltes. «Que peut-on connaître de quelqu'un dont on ne sait rien ?» s'interroge Sandrine Treiner, historienne et directrice adjointe de France Culture. Fascinée par ce destin anonyme «qui a moins de réalité qu'un personnage de roman», elle a décidé de raconter l'histoire de cette femme : «Manya Schwartzman refusait la soumission, la méfiance, la peur, la lâcheté, l'ignorance, la bêtise, la violence et c'est pourquoi il faut une tombe à son nom.»