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Interview

«Selon Rothko, l’artiste a pour mission de réparer le monde»

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Spécialiste de l’histoire de l’art aux Etats-Unis, Annie Cohen-Solal montre comment, au XXe siècle, les juifs immigrés ont été un vecteur de modernité. Avec Rothko en figure de proue flamboyante.
publié le 8 novembre 2013 à 18h06

Biographe de Sartre et commissaire générale de l'expo «Magiciens de la terre, 2014» au centre Georges Pompidou à Paris, Annie Cohen-Solal s'intéresse depuis une vingtaine d'années à l'histoire de l'art et des artistes aux Etats-Unis. Elle publie un ouvrage sur Mark Rothko, sans doute le peintre le plus influent de l'après-guerre et aujourd'hui le plus côté. Ce qui intéresse particulièrement cette intellectuelle, c'est l'histoire sociale de l'artiste aux Etats-Unis. Mark Rothko est son troisième livre sur ce thème après Un jour, ils auront des peintres et Leo Castelli et les siens (Gallimard, 2000 et 2009).

Pourquoi l’art moderne, dont Rothko est le représentant symbolique, n’arrive-t-il sur le devant de la scène, aux Etats-Unis, qu’au milieu des années 50 ?

Ma recherche tourne précisément autour de cette question : pourquoi les Etats-Unis ont-ils produit des artistes aussi magnifiques aussi tard ? D'un point de vue artistique, tout au long du XIXe siècle, ils vivent sous le modèle français, opprimant, écrasant. Pour des raisons politiques, éthiques et surtout religieuses, ce pays considère alors l'artiste comme un citoyen de second ordre. Les Etats-Unis sont un pays fondé par des hommes qui ont quitté l'Europe, ses monarchies, le poids, l'opulence de l'Eglise catholique pour «de bonnes raisons» et l'artiste y est vu comme le symbole de cet ancien monde, puisque, après tout, les rois et l'Eglise étaient les premiers mécènes. Le changement de statut intervient à la fin du XIXe siècle avec l'émergence d'une nouvelle classe sociale, ceux que l'on appelle les robber barons,