Mandela n’existait pas pour nous. Ou très peu. Contrairement à la Guinée de Sékou Touré, par exemple, qui abrita Nelson Mandela au début des années 60 ou au Bénin qui, sous le régime militaro-marxiste de Mathieu Kérékou, apporta son soutien à l’ANC, la Côte-d’Ivoire garda ses distances. Pour nous, l’Afrique du Sud était très loin. On connaissait bien les colons français pour les avoir vus à l’œuvre, mais les Afrikaners, à quoi pouvaient-ils bien ressembler ? Dans les années 70, Félix Houphouët-Boigny, le Père de la nation, était à l’apogée de son règne. Il dominait le pays et même la façon de penser. Or, sa position par rapport à l’Afrique du Sud était des plus ténébreuses, et totalement à contre-courant de celle de la plupart des autres pays de la région ouest- africaine. J’étais encore une adolescente en 1971 quand Houphouët-Boigny organisa une conférence de presse internationale au cours de laquelle, pendant six heures, il expliqua sa conception de la paix basée sur le dialogue. Je me souviens que la ville entière s’était arrêtée pour l’écouter. Notre maison resta silencieuse pendant le discours fleuve.
La proposition de Houphouët-Boigny pour résoudre le problème racial en Afrique du Sud était la suivante : instaurer un double dialogue entre les pays africains et le gouvernement sud-africain, d’une part et un dialogue intérieur entre le pouvoir raciste des Blancs et la majorité noire, d’autre part. Pour mon père et bien d’autres, le Sage avait parlé. Cet épisode me marqua