Elles se tiennent au bord de la voie ferrée, brandissant à bout de bras des sacs de nourriture et des bouteilles d'eau. Eux sont accrochés aux wagons qui défilent dans un grondement infernal. Leurs vies se croisent un bref instant, le temps d'un échange éclair : ils attrapent les colis au vol en criant «Que Dieu vous le rende !» et leurs bienfaitrices anonymes leur sourient. Ce petit miracle se reproduit quotidiennement dans le village de La Patrona, dans l'Etat de Veracruz, où un groupe de femmes, touchées par le sort de ces migrants centraméricains qui traversent le Mexique sur les toits des trains de marchandises, s'organise pour leur apporter un peu de réconfort, sous forme de colis-repas.
«Ces frères centre-américains ont faim, il faut leur donner à manger» : en 1995, Norma Romero a rassemblé ses voisines, ses amies et ses sœurs autour de ce simple constat. Une quinzaine de femmes ont répondu à l'appel et se réunissent tous les matins dans la maison de Norma, dont un mur porte, en lettres bleues sur fond rose, l'inscription «las patronas» (les patronnes), surnom donné par les migrants. Pendant plusieurs heures, elles couperont des légumes, tourneront riz et haricots dans de grandes marmites, emballeront des pains et des boîtes de thon. Elles entasseront plus d'une centaine de colis dans des brouettes, alignées sur le pas de la porte, non loin des rails. Puis elles attendront, guettant le sifflement de ce train qui n'a pas d'horaires et qui peut passer d