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Egypte. La place des martyrs

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Trois ans après le soulèvement populaire, le pays continue de panser ses plaies et de pleurer les victimes d’une révolution confisquée. Pour honorer leur mémoire, le photographe Denis Dailleux est allé à la rencontre de leurs familles.
publié le 24 janvier 2014 à 18h16

C’est là que tout a commencé, dans ce cybercafé d’Alexandrie, à deux pas de la mer. Space.net, un nom banal pour un lieu banal dans une pièce sombre, des enfants jouent en réseau, de jeunes chômeurs envoient des CV, des femmes apprêtées bavardent avec leur mari parti dans le Golfe, et des hommes seuls transpirent, planqués derrière leur écran.

Le 6 juin 2010, c’est sur une de ces vieilles chaises en skaï qu’était assis Khaled Saïd quand sont entrés deux policiers en civil. S’agissait-il d’un contrôle fortuit ou venaient-ils spécialement pour cet informaticien de 28 ans qui aurait diffusé des vidéos compromettantes pour la police ? Les versions divergent encore. Mais il est établi que, lorsque les agents lui ont demandé ses papiers, le jeune homme a protesté. Pour cet affront, il a été insulté, giflé, puis traîné à l’entrée de l’établissement où il a été tabassé, la tête cognée plusieurs fois contre une table en marbre. Il en est mort.

«Nous sommes tous Khaled Saïd»

Venu identifier le corps, son frère a pris une photo. On y voit Khaled le visage tuméfié, la mâchoire de travers, des dents manquantes, une flaque brunâtre derrière le crâne. Repris par des blogs et les réseaux sociaux, le macabre portrait a circulé dans toute l’Egypte, des marches ont suivi, dénonçant les violences policières et les dérives d’un pouvoir corrompu. Et la page «Nous sommes tous Khaled Saïd» a été créée, appelant les Egyptiens à descendre sur la place Tahrir le 25 janvier 2011, jour de la fête de la police. Le début d’un soulèvement