Le leader révolutionnaire n'a pas d'heure. Ce vendredi soir de bourrasques glacées, il n'est pas loin de minuit lorsque Juan Manuel Sánchez Gordillo, 64 ans, reçoit à son domicile, une de ces maisons basses d'un morne lotissement. A la porte d'un mini-salon sans fioritures, le petit homme apparaît dans son attirail habituel, barbe fleurie de prophète, chemise rouge à carreaux et keffieh palestinien. Il a les traits tirés, la gorge irritée, le souffle difficile, effets secondaires de son sacerdoce social. Pourtant, comme encouragé par le portrait de Che Guevara accroché au mur, Sánchez Gordillo élève sa voix aiguë et nasillarde, son regard est intense, ses petits yeux noirs lancent des flammes. «L'actualité me donne raison, souffle-t-il. Le capitalisme, cette hydre à mille têtes, dévore nos existences de façon sournoise. Un véritable système nécrophile. Il lui faut des résistances. C'est le sens de ma lutte.»
Trente ans après son irruption fracassante au cœur de l'Andalousie rurale et pauvre, on avait presque oublié la rebelle et anarchiste Marinaleda, 2 786 habitants, dont Sánchez Gordillo est l'indéboulonnable et charismatique maire (quand il a été élu pour la première fois, en 1999, il avait déjà derrière lui douze ans de lutte pour la terre). Dans cette bourgade d'ouvriers agricoles scandant des slogans révolutionnaires et vivant grâce à l'occupation de terres appartenant à des aristocrates, la plupart reçoivent le même salaire, habitent des logements de