Sa fille de 3 ans ne marchera peut-être jamais, et l'âme de Tahir Wali en est rongée de remords. Les yeux cernés, l'homme tente de maintenir Safa debout, dont la jambe droite est paralysée à vie par la polio depuis deux ans. Pour une raison simple et absurde : il a refusé de la faire vacciner. Toute fine dans sa tunique de velours rouge, des cheveux presque rasés durcissant encore son visage malingre, la petite s'épuise rapidement, sa jambe inerte comme détachée de son corps. Avec une infinie douceur, elle parvient à s'allonger et à poser sa tête sur le genou de son père, qui la contemple avec tendresse : «Safa est tombée en essayant de marcher, elle est toujours trop affaiblie pour se déplacer», souffle-t-il pour expliquer le menton balafré de vilaines cicatrices de sa fille.
«Je me sens coupable»
Le désarroi et les regrets contenus de Tahir, 35 ans, longue silhouette enveloppée d'un patou, le châle traditionnel, sont poignants. «Oui, je me sens coupable», avoue-t-il en secouant son chapeau rond de prière. Dans sa tribu pachtoune, majoritaire dans le nord-ouest du Pakistan et très conservatrice, un homme fait rarement part de ses émotions. Un silence pesant enveloppe les trois autres enfants de la famille, âgés de 7 à 10 ans et entourant Safa, dans une pièce servant tout à la fois d'entrée, de salon et de chambre, typique des modestes maisons de Peshawar.
Soudain, la voix forte d’un garçon chantant l’appel à la prière fait sursauter. La maison est située à côté d’une éco