Le soleil tape. Et dans le car qui se dirige vers Sidi Bel Abbes, à l’ouest d’Alger, on respire mal à cause de cette odeur de beurre qui crame dans le fond de la casserole. Ambiance. Des femmes épaisses parlent fort et un contrôleur au polo rouge passe ramasser la monnaie des passagers. Pour ne rien arranger, la mousse s’échappe des fauteuils, la faute à quelques coups de canif : sûrement le coup d’un énervé. Près de moi, Sif, le plus jeune de mes cousins, s’amuse à y foutre ses doigts au rythme des kilomètres. Derrière, deux autres cousins, Tahar et Fathi, se partagent un kit mains libres relié à un vieux Nokia.
Fathi est célibataire depuis la veille. Il nous l'a annoncé de manière originale : «Ça y est, the end, le générique du film a fini de défiler.» Triste, il regarde aussi loin qu'il peut à travers la vitre poussiéreuse. Il écoute en boucle une chanson de raï de Cheb Akil, au nom douloureux et beau à la fois. Si on traduit approximativement, ça donne l'Amour interdit. Depuis toujours, ce morceau lui tire les larmes. Au point de s'imaginer qu'il a été écrit spécialement pour lui. Et si on se met à croire tous les chanteurs qui fleurissent sur la corniche oranaise, la musique raï, sentimentale et jeune, est une sorte de BO de la vie.
Je me renseigne auprès d'eux. L'amour, dans la vraie vie, c'est comme une chanson de raï ? Tahar et Fathi se marrent. Sif, lui, rougit et enfonce sa main dans le siège devant lui. Tahar prend la parole, sans gêne vis