On dirait une poupée. Petite, toute menue, toute maquillée de rose, de longs cheveux bruns lissés, jean slim sur talons compensés. La poupée est cassée. Fracturée net dans la banlieue de Tunis il y a un an et demi. Son avocat avait prévenu : «Vous allez rencontrer un spectre.» On s'en rend d'abord compte à la voix. Elle parle, en français, d'un timbre à peine audible, qui s'arrête, bute, repart. Il y a aussi ces gestes inquiets, ces yeux qui ont du mal à se fixer, cette impression générale qu'elle est là sans être là, extérieure à elle-même.
Dans cette fille à la fois endurcie et à fleur de peau, on cherche la jeune femme d'avant. Elle nous la décrit insouciante, gaie, confiante. «Je ne sais pas si j'arriverai à être de nouveau heureuse un jour. Depuis le viol, je suis devenue agressive, craintive, tout le temps sur les nerfs.» Viol, le mot sort mécaniquement tant il s'est ancré profond en elle. Sa vie est «restée bloquée sur cette nuit-là». Le 3 septembre 2012, Meriem ben Mohamed (le pseudo qu'elle s'est choisi depuis) a été violée par trois policiers. Elle a porté plainte, brisant en toute conscience deux tabous de la société tunisienne : le viol et l'impunité dans la police. Ses agresseurs présumés sont incarcérés mais n'ont toujours pas été condamnés. Leur procès devrait enfin avoir lieu ce 31 mars à Tunis.
Tous les soirs, Meriem revit son drame. Tunis, un soir de fin d'été. Elle rejoint son petit ami Ahmed (il a pris un pseudo, lui aussi) pour a