«Je m'adresse à vous dans la langue de tous les Tunisiens et Tunisiennes», annonçait solennellement Zine el-Abidine ben Ali en commençant son discours, au soir du 13 janvier 2011. Pour sa troisième intervention télé depuis l'immolation de Mohamed Bouazizi et pour la première fois en vingt-trois ans de pouvoir, l'autocrate, piètre orateur, remisait son arabe classique pour s'exprimer en derja, le dialecte du peuple. «Fhemtkom» («Je vous ai compris»), a-t-il répété lors de l'allocution, jouant la corde sensible. Insuffisant pour la rue : le lendemain, le tyran chutait. La formule, elle, est passée à la postérité, raillée, détournée, remixée version house ou rap. C'était la dernière preuve du décalage entre le raïs et le peuple.
Puis la langue de bois du régime a laissé la place à un défoulement verbal collectif. Dans le grand chambardement révolutionnaire, la parole s'est libérée, suscitant un micromouvement, difficilement perceptible aux oreilles occidentales : le dialecte tunisien, langue du peuple, se pousse hors de sa sphère familière, rognant quelques arpents des vastes prérogatives de l'arabe littéraire. La conquête, sans bruit, est bien dans l'air du temps anti-élitiste : «Il faut avoir un certain niveau d'éducation pour comprendre l'arabe littéraire. Le tunisien est plus simple, plus accessible», relève Hager Ben Ammar, professeure d'arabe et passionnée de la derja, qu'elle enseigne depuis dix-huit ans aux étrangers.
Au nom du Coran et du panarabisme
En Tunisie, comme dans tous