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Interview

Bertrand Badie «La diplomatie de connivence mène à toutes les impasses»

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L’Ukraine et la Russie, mais aussi le Mali ou même la Grèce… Autant de pays humiliés par des Occidentaux persuadés qu’ils dominent encore le monde : l’analyse du politologue Bertrand Badie.
Angela Merkel, Vladimir Poutine, David Cameron, Barack Obama et François Hollande lors du sommet du G8, 18 juin 2013. (Photo : Yves Herman.Reuters)
publié le 25 avril 2014 à 18h06

De l’Ukraine à la Syrie en passant par le Mali, notre système international semble grippé. Selon Bertrand Badie, professeur à Sciences-Po, qui vient de publier le Temps des humiliés, notre diplomatie date du XIXe siècle : ayant pour règles la puissance et la domination, elle est devenue inopérante dans un univers mondialisé et interdépendant. Basée sur l’humiliation, elle ne peut que générer frustrations et conflits.

Comment définissez-vous la diplomatie de l’humiliation ?

Loin d'être une notion psychologique, l'humiliation est imprimée dans le langage et la pratique diplomatiques depuis longtemps. Les humiliations sont implicitement justifiées par l'idée de supériorité. La diplomatie que nous pratiquons date du congrès de Vienne [1814-1815] : une oligarchie aristocratique et européenne décide du sort du monde. Le G8 en est l'illustration. Cette diplomatie de connivence, cet entre-soi, mène à l'exclusion et à toutes les impasses actuelles. Avant, l'agression était militaire ; aujourd'hui, au lieu d'attaquer, il suffit d'exclure.

Cette humiliation est-elle à l’œuvre dans le conflit en Ukraine ?

Absolument, la Russie se considère comme un grand pays humilié par l'histoire. Mais il s'agit aussi d'un conflit entre humiliés. L'Ukraine, qui ressent depuis longtemps la domination russe, a l'impression d'être l'otage de cette rivalité sourde entre Europe occidentale et Russie. Cela conduit à une expression sociale - celle, célèbre, de Maidan - de facture nationaliste. L'humiliation de la Russie est plus géopolitique. Lors de la dislocation de l'URSS [1989-1991], même si la Russie n'a