«Que Dieu maudisse le kif», lance Malika. Elle porte une pioche sur son épaule. Deux gamins couverts de poussière, chaussures trouées, s'accrochent à sa jupe. Ce matin, elle a labouré son terrain, un jardinet en pente, maintenant, elle sème les graines de cannabis qui fourniront la récolte de l'année. En juillet, elle coupera les plants et les fera sécher au soleil sur son toit. D'autres villageois les réduiront en poudre : c'est ainsi qu'on fabrique le kif au Maroc. «Que Dieu le maudisse», redit Malika en jetant les graines, que la poule de la maison picore à longueur de journée. C'est sa seule nourriture.
Si Malika maudit le kif, c'est parce que sa récolte de l'an dernier n'a pas été achetée. Le stock, du volume d'une voiture, est en train de pourrir dans une chambre de sa maison. «Je ne vends plus, mais je ressème. Quel choix on a ? Il n'y a que ça qui pousse…»
Malika habite à Issaguen, 2 000 habitants à 2 000 mètres d'altitude, dans la montagne des Sanhaja de Srair, grande confédération de tribus berbères. Le relief est accidenté. L'hiver rude. Les sols pauvres. Une seule culture, dit-elle, résiste à ces conditions depuis le XVe siècle : «Notre graine, le kif.» «Nous en sommes les propriétaires», revendique son cousin, Abdellatif Adebibe, un sexagénaire en survêtement, appuyé sur une canne en bois d'olivier vieille de deux cents ans. Dans le seau aux pieds de Malika, il prend une poignée de graines de kif et la porte