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Libération
Interview

«Il y a à présent un noyau favorable au changement en Irak»

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Ihsan al-­Shemari, universitaire à Bagdad, dresse un état des lieux de l'Irak sous Nouri al-Maliki, tout juste réélu pour un troisième mandat à la tête du pays.
Lors des législatives, à Bagdad, le 30 avril. (Photo Ahmed Jadallah. Reuters)
publié le 20 mai 2014 à 15h25
Le 30 avril, Nouri al-Maliki, Premier ministre irakien sortant, est arrivé largement en tête des élections législatives. Cet intransigeant chef de file chiite entame donc un troisième mandat à la tête de ce pays gangréné par la violence, que peinent à endiguer des institutions politiques défaillantes.
Ihsan Al-­Shemari, professeur de relations internationales à l’Université de Bagdad et président du Centre de réflexion politique, défend néanmoins l'action de Nouri Al-Maliki, qui a permis selon lui certains progrès.
Quel bilan peut-on tirer des deux précédents mandats de Nouri al-­Maliki?

Même si de nombreux problèmes demeurent, on peut lui reconnaître d'avoir bloqué la guerre civile dans les années 2006-2007. Sans lui, le chaos aurait perduré des dizaines d'années. Certes, il y a encore des voitures piégées. Des villes comme Fallouja [ville d'environ 200 000 habitants à 60 km à l'ouest de Bagdad, tenue depuis cinq mois notamment par l'Etat islamique en Irak et au Levant, une émanation d'Al­Qaeda, ndlr] et une partie de Ramadi ont été prises par l'insurrection. Mais la situation n'a rien de comparable à celle des années 2006-200­7, quand il fallait revenir chez soi avant 14 heures et ne pas sortir dans la rue après 16 heures, quand nous étions coincés entre Al-Qaeda et les milices. Maintenant, je peux me promener à 1 heure du matin.

Ses adversaires lui reprochent d’avoir creusé davantage le fossé du sectarisme.
Cette accusation est portée par ses adversaires pour nuire à son image mais cela ne veut pas dire qu’il joue la carte confessionnelle. Maliki compte d’abord sur ses supporteurs qui sont chiites, bien sûr, et qu’il a infiltrés dans les rouages de l’Etat. Mais il n’est pas pour autant favorable à la séparation confessionnelle du pays. Il ne fait pas que ramasser les voix des chiites, des sunnites votent aussi pour lui. 
En réalité, c’est une bonne personne mais ceux qui l’entourent donnent une mauvaise image de lui. Quand je l’ai rencontré la première fois, il y a quatre ans, il m’a dit : «Ce n’est pas la peine d’évoquer mes qualités. Parlez­ moi plutôt de mes défauts, que je puisse les corriger». Depuis, il m’arrive de lui donner des conseils. Le problème, ce sont à la fois ses supporteurs et ses adversaires. Vous savez, travailler en Irak, c’est très dur.
Tout de même, les sunnites se sentent marginalisés.
Ils se sentent marginalisés, mais ils ne le sont pas. Le président du Parlement est sunnite, plusieurs ministres sont sunnites, dont celui de la Défense. Cinq ministres viennent de la province d’Al-­Anbar [l’épicentre de l’insurrection sunnite et qui échappe de ce fait en grande partie au contrôle du gouvernement, ndlr].
Ce sentiment de sectarisme ne procède d’ailleurs pas que d’un facteur interne. C’est dû aussi au fait que certains pays voisins essayent de se faire les représentants de certaines parties de la population. Et ces populations appuient certains clans qui sont favorables à une séparation confessionnelle. Il faut ajouter que beaucoup de politiciens sunnites ne donnent pas d’eux-mêmes une image de démocrates et, d’ailleurs, certains chiites non plus.
Quel rôle joue Téhéran dans ce conflit intercommunautaire?

Téhéran joue un rôle important pour les politiciens chiites et kurdes. L'Iran leur prodigue beaucoup de conseils. Et il prend parfois des décisions à leur place. Même le président (sunnite) du Parlement s’est rendu à Téhéran, ce qui témoigne bien du rôle de ce pays. Mais nos autres voisins, le­ Qatar, l’Arabie Saoudite, la Turquie­ ont aussi leur influence. Certains donnent beaucoup d’argent aux politiciens sunnites pour qu’ils fassent tuer des chiites. En revanche, il n’y a aucune preuve pour incriminer l’Iran dans des assassinats de sunnites. Mais c’est vrai, Téhéran a aujourd’hui une forte influence en Irak.

Y ­a­-t-­il des preuves pour accuser l’Arabie saoudite d’ingérences meurtrières en Irak ?

Oui, pas plus tard qu’hier, l’armée a saisi quarante voitures 4x4 avec des plaques saoudiennes à proximité de Fall