Kamal Hachkar se demandait comment les 200 spectateurs de Tinghir allaient réagir à la projection de son documentaire sur les juifs marocains partis dans les années 60 en Israël, Tinghir-Jérusalem, les échos du Mellah. Soulagement, les habitants ont salué sa démarche. Si Kamal Hachkar, 33 ans, a traité cette histoire, c'est à cause d'un silence qui traînait depuis son enfance.
Né dans une haute maison en terre orange au centre de la vieille ville de Tinghir, 36 000 habitants au pied du Haut Atlas, en plein cœur du Maroc berbère, il a à peine 6 mois quand sa mère l'embarque pour la France où les attend son père, ouvrier à Paris. Chaque mois d'août, les Hachkar reviennent habiter chez le grand-père, Baha, resté au pays. L'été de ses 16 ans, Kamal l'interroge sur les maisons voisines qu'il a toujours connues vides et qui s'effritent lentement au cœur du vieux quartier. «Il m'a appris que c'étaient les habitations de juifs qui avaient vécu au Maroc durant plus de deux mille ans : 250 000 d'entre eux ont quitté le pays dans les années 60.» Kamal ignorait jusqu'à leur existence. «En France, où j'ai grandi, on m'avait dit que la cohabitation entre les juifs et les musulmans était impossible.»
Devenu professeur d'histoire en banlieue parisienne, il songe à ces maisons fantômes, à ceux qui ont quitté leur village pour un pays nouveau. Leur sort, le souvenir qu'ils ont laissé, l'obsèdent. Il imagine ces émigrés ayant jeté, de Tinghir à Jérusalem, un pont invis