Cette nuit du 9 au 10 juin, comme il le fait en moyenne deux fois par semaine, Moushraq Faleh al-Musil, un policier de Bagdad, appelle son frère Moushtaq, détenu à la grande prison de Badoush, située à une trentaine de kilomètres de Mossoul (350 km de Bagdad). En général, les deux frangins se parlent des heures, souvent jusqu'au petit matin. En échange de l'argent des familles, qui leur est versé directement via leurs portables, les gardiens permettent aux prisonniers d'avoir eux aussi des téléphones. Vers 6 heures, Moushtaq annonce à son frère qu'il se passe «des choses étranges à la prison». Le policier lui conseille de regarder à travers le guichet de la porte de l'immense dortoir qu'il partage avec des dizaines d'autres détenus. Dans le couloir, il entend beaucoup de bruit et distingue d'autres prisonniers qui vont et viennent. Il note aussi l'absence de gardiens. Le petit matin du 10 juin a pour lui un avant-goût de liberté.
Deux ans après l’invasion américaine de l’Irak, en 2003, Moushtaq, un ouvrier du bâtiment âgé de 21 ans, avait été arrêté par les forces irako-américaines à Abou Tchir, un quartier pauvre à majorité chiite de Bagdad. Une dénonciation anonyme. Celle-ci l’avait présenté comme un membre de Jeish al-Mahdi (l’Armée du Mahdi), la milice du jeune trublion Moqtada al-Sadr, un religieux, fils d’un ayatollah très populaire assassiné par les sbires de Saddam Hussein, qui se prétend la voix des sans-voix, le connétable des opprimés, tout en se réclamant