Spécialiste de la Russie et des Etats issus de l’ex-URSS, Thomas Gomart est directeur du développement stratégique de l’Institut français des relations internationales (Ifri).
Les sanctions ciblées décidées jusqu’ici par les Etats-Unis et l’UE à l’encontre de la Russie ont-elles eu des effets ?
Oui et non. Oui au regard de la fuite des capitaux, estimée pour le premier semestre 2014 à plus de 75 milliards de dollars [56 milliards d'euros, ndlr], soit plus du double par rapport à la même période 2013. Cela traduit une incontestable fébrilité des milieux économiques russes. Non, au regard du discours politique qui se durcit, comme si le Kremlin se préparait à une crise de longue durée avec l'Occident. Parallèlement, Vladimir Poutine s'est rapproché de la Chine en mai et il a dernièrement fait franchir un pas supplémentaire aux Brics [Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud] en lançant le principe d'un instrument financier qui leur serait propre. Si l'on pousse la logique politique des sanctions voulues par Washington et la Commission européenne à son terme, il s'agirait d'encourager un changement de régime à Moscou. Leur pari est que les oligarques et l'opinion vont se retourner contre Poutine.
C’est un pari dangereux ?
Doublement. En premier lieu, qui peut sérieusement prédire ce qu’entraînerait une chute brutale de Vladimir Poutine au moment où l’économie russe stagne et où le pays semble sur le pied de guerre ? En ciblant les secteurs énergétique et bancaire, la Commission et Washington changent de registre et espèrent un effet psychologique rapide. C’est mal connaître l’état d’esprit qui prévau