L’Empire ottoman a décidé hier la mobilisation générale tout en assurant sa volonté de maintenir une stricte neutralité - malgré ses liens avec Berlin qui s’est notamment chargé de la réorganisation de son armée. Son excellence Henry Morgenthau, ambassadeur des Etats-Unis à Constantinople, a répondu par câble à nos questions (1).
Comment se déroule l’appel sous les drapeaux ?
Les scènes dont je suis spectateur ont peu d’analogie avec celles qui se déroulent chez les peuples combattants. Le patriotisme martial des hommes, la patience et le dévouement sublime des femmes, peuvent donner parfois à la guerre un caractère d’héroïsme ; ici, l’impression générale se résume ainsi : indifférence et misère. Chaque jour, diverses hordes ottomanes traversent les rues ; des Arabes, nu-pieds, parés de leurs vêtements aux couleurs les plus vives, chargés de longs sacs de toile contenant la ration réglementaire de cinq jours, la démarche lourde et l’air ahuri, coudoient des Bédouins également démoralisés soudain arrachés au désert. Un assemblage varié de Turcs, Circassiens, Grecs, Kurdes, Arméniens et Juifs se bousculent sous nos yeux. L’aspect de ces hommes trahit leur enlèvement rapide, les uns à leurs fermes, les autres à leurs magasins ; la plupart ne portent que des haillons et beaucoup d’entre eux paraissent à demi-morts de faim ; ils sont l’image du désespoir, de la soumission - rappelant celle du bétail - à un sort auquel ils savent ne pouvoir se soustraire. Pas de joie à l’évocation de la bataille prochaine, ni la conscience du s