Ala fin des années 70, en pleine dictature militaire, Silvia Guzman avait 7 ans. La junte argentine avait décidé de résoudre de façon définitive la question des bidonvilles du centre de la capitale. «Je m'en souviens bien, raconte-t-elle. Les camions chargeaient les gens, qu'ils emmenaient au-delà des frontières de la ville, on ne savait pas trop où, et les pelleteuses détruisaient leurs cabanes. Au bout de quelques mois, c'était comme si on avait été bombardés. Seules trente-trois familles sont restées, dont la mienne.» Contre cinq cents qui habitaient jusque-là l'emblématique «villa 31», au cœur de Buenos Aires.
«A l'époque, la junte préparait le Mondial de foot de 1978, il fallait nettoyer la ville, la rendre jolie et présentable pour les journalistes et les touristes, explique Javier Fernandez Castro, architecte spécialisé en "habitat et pauvreté urbaine". En espagnol d'Argentine, les bidonvilles s'appellent "villas de emergencia" [quartiers d'urgence, ndlr], ce qui est une hypocrisie… comme si c'était provisoire. Même si beaucoup refusent de l'accepter, ils font partie du paysage urbain, au même titre que d'autres quartiers.»
Aujourd’hui, la villa 31 - rebaptisée officiellement villa Padre Mugica, du nom d’un jésuite qui y a travaillé durant la dictature et a contribué à sauver les habitations des trente-trois familles - compte trente mille habitants, selon les estimations les plus modestes. C’est un rectangle de près de six kilomètres