Mustafa Baker est un Kurde syrien aux grands yeux bleus. Il est né à Kobané il y a soixante-quatre ans. Il y a quatorze jours, il a quitté Kobané, où les combattants kurdes tentent de résister à l’Etat islamique, pour Sanliurfa, côté turc. Lui qui était en costume trois-pièces quand il enseignait le français à Alep à la fin des années 90 vit aujourd’hui avec ses trois enfants dans un appartement dans lequel s’entassent d’autres familles de Kobané, dans une promiscuité terrible. Rencontré mardi soir à Sanliurfa, près de la grotte d’Abraham, il raconte l’histoire de sa ville, Kobané.
«Ce que je sais de Kobané, je le tiens d’un homme qui y a vécu au début du siècle dernier. Il s’appelait Henow Mussi Alé. Nous sommes en 1983. Cet homme a alors 90 ans. Kobané en 1910-1912 n’est qu’un hameau. La ligne de démarcation actuelle est alors une zone marécageuse entourée de deux sources : une à l’ouest et l’autre à l’est, où les Bédouins arabes viennent de temps à autre faire boire les bêtes.
«Les habitants, en ce début de XXe siècle, sont kurdes et arméniens. Il n'y a pas, et jamais eu, jamais, et jusqu'à la prise de pouvoir de Hafez al-Assad à la fin des années 60, aucune présence arabe ici.
«Comme les Bédouins arabes venaient faire boire les bêtes à cette source de l'ouest on a donné le nom de Aïn al-Arab, qui signifie "la source des arabes". Quand les baassistes ont pris le pouvoir, ils ont immédiatement modifié tous les noms kurdes, certains attestaient aussi d