Dans un récent livre (1) sur l'échec de l'engagement américain en Afghanistan (et en Irak), le général trois étoiles Daniel Bolger, aujourd'hui professeur d'histoire à l'académie militaire de West Point, ne cesse de se poser cette question : mais qui est l'ennemi ? Autrement dit, qui est celui que je dois tuer pour espérer gagner la guerre ? Ne trouvant pas de réponse satisfaisante, il a cette formule : l'ennemi, c'est «tout le monde». Mais il y a une autre question que l'officier ne se demande pas : qu'est-ce que Washington et l'armée américaine ont voulu faire de l'Afghanistan ? Elle lui aurait pourtant permis de désigner l'ennemi.
Celui-ci, sous le nom de talibans, rassemble tous ceux qui rejettent l'ordre que les pays occidentaux ont cherché à imposer à partir de 2001 : une constitution, des élections, la scolarité pour les filles, l'égalité entre hommes et femmes… Ce qui, pour la grande majorité des Afghans, s'est traduit par un Etat failli, dirigé par une élite corrompue et prédatrice qui a continué de s'entendre avec les seigneurs de guerre haïs par la population, avec une démocratie biaisée, comme l'ont montré par deux fois les élections présidentielles, et qui ne survit qu'avec l'aide militaire et économique de l'Occident. Aussi les «étudiants en religion» apparaissent-ils aujourd'hui plus comme un vaste front du refus - regroupant des groupes disparates, voire antagonistes, chacun opérant dans sa région propre - que comme une organisation structuré