Combien coûte un migrant ? Ce débat - aux relents nauséabonds - fait rage en Allemagne. Les économistes se disputent sur le sujet, alors que le mouvement anti-islam «Pegida» reprenait la mobilisation lundi après la trêve des confiseurs. L’institut ZEW s’est livré pour le compte de la fondation Bertelsmann à un calcul cherchant à démontrer les bienfaits de l’immigration pour l’ensemble du pays. Selon l’étude, chaque migrant apporterait aux budgets sociaux et au fisc 3 300 euros par an et par personne de plus que ce qu’un étranger coûterait à l’Etat.
Mais ce chiffre est contesté par l'institut IFO de Munich, connu pour ses positions conservatrices, voire anti-européennes. Hans-Werner Sinn, son très influent patron, estime au contraire que chaque nouveau venu coûterait à l'Etat 1 800 euros par an et par personne. La différence entre les deux études tiendrait à la prise en compte par l'IFO des frais «généraux» tels que la Défense ou l'entretien des autoroutes. L'Allemagne, résume IFO, n'attire pas les «bons» migrants.
Se fondant sur les statistiques de l'OCDE, Hans-Werner Sinn souligne que les jeunes bien formés et à fort potentiel choisissent comme terre d'accueil les Etats-Unis, qui leur offriraient de meilleures chances de réussite, tandis que les migrants pauvres et mal formés se tourneraient plutôt vers l'Allemagne et son système de protection sociale. Selon l'OCDE, seuls 25% des migrants rejoignant l'Allemagne sont titulaires d'un diplôme de l'enseignement supérieur. Pour Sinn, l'heure est venue d'ouvrir un débat «sans idéologie» sur la politique d'immigration de l'Allemagne.
Abandon. En 2013, la République fédérale et son économie plutôt florissante ont accueilli 465 000 migrants, venus pour la plupart de l'est et du sud de l'Europe. Dépourvu de toute tradition en la matière, le pays occupait pour la première fois en 2013 la deuxième place derrière les Etats-Unis, passant devant le Canada et l'Australie, terres traditionnelles d'immigration. En parallèle, l'Allemagne est également devenue un important pôle d'attraction pour les réfugiés, notamment depuis les crises syrienne et irakienne : quelque 200 000 personnes ont ainsi rejoint le pays l'an passé, à la recherche d'une terre d'asile. Dans l'attente de l'examen de leur dossier, les réfugiés sont en théorie pris en charge par l'Etat. Mais face à l'afflux de migrants, les autorités se sont souvent montrées débordées tant au niveau des capacités d'accueil des réfugiés que du discours tenu par les politiques.
A Munich, l’une des villes les plus riches du pays, 200 réfugiés ont dû dormir pendant plusieurs nuits au début de l’hiver dans la cour d’une caserne désaffectée. Un peu partout dans le pays poussent des villages de tentes ou de conteneurs pour abriter ces réfugiés souvent traumatisés, lorsque ce ne sont pas des écoles à l’abandon ou des salles de sport qui sont réquisitionnées, suscitant la colère des riverains. L’impuissance des pouvoirs publics explique en partie le succès du mouvement Pegida, parti de rien et échappant à tout contrôle des partis traditionnels, qui réclame une réforme du droit d’asile et l’expulsion des clandestins.
Selon un sondage, 13% des Allemands seraient prêts à participer à «une marche contre l'islamisation de l'Occident», si une telle manifestation était organisée dans leur ville. Quelque 29% des personnes interrogées estiment ces marches justifiées «par l'importance de l'islam sur la vie en Allemagne».
«Inacceptable». Angela Merkel et ses ministres, visiblement mal à l'aise, ont mis des semaines à condamner les manifestations anti-islam, qui portent atteinte à l'image du pays à l'étranger. Plus rapide, le patronat a pris clairement position contre Pegida dès la mi-décembre : «Pegida instrumentalise la peur du terrorisme islamiste pour discréditer toute une religion. C'est inacceptable», insiste le président de la puissante fédération de l'industrie BDI, Ulrich Grillo. Le BDI représente 100 000 PME faisant travailler 8 millions de salariés. Ces entreprises sont particulièrement dépendantes de la main-d'œuvre étrangère, alors qu'avec sa démographie en berne, l'Allemagne ne pourra assurer le financement de son système social sans recours massif à l'immigration.
«L'Allemagne ne pourra échapper plus longtemps à un vaste débat sur l'immigration, résume le politologue de Dresde Werner Patzelt. Jusqu'à présent, la classe politique traditionnelle a négligé - surtout à l'est du pays - le débat autour de l'intégration et de l'immigration pour un pays dépourvu de toute tradition en la matière. On a toujours dit aux Allemands que les étrangers allaient repartir un jour. Bien sûr, c'était totalement naïf.»