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Libération
Reportage

Coptes : Al-Sissi fait le Père Noël

Pour la première fois un président égyptien a participé à une messe avec les chrétiens. La communauté, rassurée, reprend espoir.
Le président de la République Abdel Fatah al-Sissi (au micro) lors de la messe de Noël dans la cathédrale Saint-Marc, au Caire. (Photo Nariman El-Mofty. AFP)
publié le 8 janvier 2015 à 19h06

Cette année, au Caire, on dit que le froid a dissuadé une poignée de fidèles de suivre la messe de Noël. Dans l’église de l’archange Michel, nichée dans le quartier de Choubra, les femmes d’un côté, et les hommes de l’autre, prient. Transis. Les mains s’engourdissent, les joues piquent, le froid pénètre même le sanctuaire, duquel s’échappent les vapeurs d’encens. Face à l’autel, emmitouflés dans d’élégants cabans, les fidèles suivent attentivement la liturgie conduite par six prêtres et une kyrielle de diacres, chantres et agitateurs de cymbales, vêtus d’une robe blanche piquée de croix rouges. Comme chaque année, des responsables politiques du quartier ont fait le déplacement : une poignée de main, quelques mots glissés dans l’oreille du dignitaire copte, et puis s’en vont.

Minuit approche, l'église est comble. A l'extérieur, dans la cour, c'est une autre actualité, plus politique, qui enchante les employés de l'église. Pour la première fois dans l'histoire de l'Egypte, on apprend que le président de la République, Abdel Fatah al-Sissi, est en train d'assister à une messe de Noël dans la cathédrale Saint-Marc, du nom de l'évangélisateur du pays. «Al-Sissi a dit de jolis mots, se réjouit Fathi Fawzi Said. Je sens une différence avec les précédentes années. C'est la première fois que nos frères musulmans ont peur pour nous.»

«Il fallait que je vienne ici pour vous souhaiter un joyeux Noël», a déclaré le Président devant une foule conquise. Accueilli par le patriarche d'Alexandrie, Tawadros II, devant le sanctuaire de la cathédrale, Abdel Fatah al-Sissi a prononcé un discours de onze minutes (selon le minutieux décompte de la presse égyptienne) entrecoupé d'applaudissements. «Nous t'aimons, Président !» crie l'un des fidèles. «Moi aussi, je vous aime», répond l'ancien général.

Ritournelle. Après une visite officielle au Koweït, l'un des principaux bailleurs de fond du pays depuis l'éviction des Frères musulmans en juillet 2013, le raïs égyptien a créé la surprise. C'est la première fois qu'un président «élu» participe à la messe de Noël. En 2014, Adly Mansour, chef de l'Etat par intérim, s'était déplacé au siège patriarcal, ce qu'aucun président n'avait fait depuis Gamal Abdel Nasser en 1968. «Al-Sissi nous apporte la sécurité qui nous manquait ces dernières années, commente Marie Yahia, 21 ans. C'est la première fois qu'un président salue les coptes pour la messe de Noël, prend le temps de nous parler.»

Ce soir, dans toutes les églises du pays, un mot revient comme une ritournelle : espoir. Espoir en Al-Sissi, un homme salué par le patriarche pour avoir «sauvé» le pays lors de l'élection présidentielle en juin. Le haut dignitaire chrétien était au côté du général lors de l'annonce de la destitution de Mohamed Morsi, en juillet 2013, au même titre que le cheikh d'Al-Azhar, prestigieuse institution de l'islam sunnite.

Espoir en l'avenir, aussi. Aux portes de l'église de l'Archange Michel, tous s'accordent sur un même constat : le pays est plus sûr. «C'est incomparable, la sécurité est revenue, s'enorgueillit un homme de la Sécurité nationale posté devant le bâtiment. Les chrétiens et les musulmans s'aiment mutuellement.»

Cible. Rien à signaler ? Le dispositif sécuritaire aux alentours de l'église trahit pourtant l'existence d'une menace. La journée a été marquée par la mort de deux policiers chargés de la protection d'une église à Al-Minya, dans le centre de l'Egypte. La province avait été le théâtre de violences contre la minorité chrétienne après la destitution du président Morsi. Pour Marina Mishreki, hôtesse de l'air, cette nouvelle agression contre les forces de sécurité n'entame pas l'optimisme de la communauté. «Les années précédentes avaient été marquées par plus de chagrin et de tristesse. Nous avions été la cible d'attaques meurtrières pendant la période de Noël. Nous avions tous peur de l'avenir.»

En 2010, six chrétiens avaient été tués au lendemain de la messe à Nag Hammadi, en Haute-Egypte. Un an après, les coptes pleurent la mort de 23 fidèles dans l’attentat contre l’église des Deux-Saints, à Alexandrie. Dans la même année, une manifestation chrétienne est violemment réprimée par l’armée, qui assure l’intérim après la démission de Hosni Moubarak. Bilan : 28 morts et plus de 300 blessés.

Juillet-août 2013 : le cauchemar continue. Les chrétiens sont la cible d'attaques au lendemain de l'éviction du président Morsi. En Haute-Egypte, des églises sont brûlées, des magasins pillés, des écoles vandalisées. Les chrétiens sont accusés de soutenir la fronde contre les Frères musulmans. «Les événements passés nous ont permis de faire le tri entre les bons et les mauvais Egyptiens. Nous savons aujourd'hui qui voulait faire du mal à l'Egypte», soutient Marie Louis, faisant référence sans les citer aux Frères musulmans.

Si l’instabilité demeure - les forces de sécurité sont régulièrement visées par des attentats dans plusieurs provinces du pays, des travailleurs égyptiens (parmi eux des coptes) ont été enlevés en Libye -, le pouvoir bénéficie toujours du soutien d’une large partie de la communauté chrétienne. Al-Sissi reste perçu comme l’homme qui a sauvé le pays de la menace islamiste.

Message. Les coptes, plus grande communauté chrétienne du monde arabe (ils représentent autour de 10% d'une population de 85 millions d'habitants), regardent avec tristesse et crainte le sort de leurs frères irakiens et syriens acculés au départ. Dans ce climat de peur, la venue d'Al-Sissi à la messe de Noël est un message fort. Une étape de plus dans le processus de légitimation du pouvoir, basé notamment sur le soutien des deux autorités religieuses du pays. C'est également un signal pour les pays occidentaux, attachés au sort des chrétiens d'Orient. «Il est important que le monde voie cette scène qui reflète la véritable unité égyptienne», a dit le Président dans la cathédrale.

Au nom de la sécurité, les coptes seraient-ils prêts à mettre en sourdine leur combat pour une meilleure représentation dans la société ? s’interroge Sherif Azer sur le site d’information Mada Masr. «Je peux comprendre le désir de stabilité. […] Ils ne mesurent pas, cependant, qu’en renonçant à leurs droits, ils sont également en train de renoncer à cette même stabilité et sécurité qu’ils recherchent.»