Menu
Libération

Lutte d’influence entre Al-Qaeda et l’Etat islamique

Prises d'otages à Paris et Dammartin-en-Goëledossier
Les deux organisations sont en concurrence pour rallier sous leur bannière les jihadistes.
publié le 8 janvier 2015 à 20h06

Qui a inspiré les auteurs de l'attaque contre le journal Charlie Hebdo ? L'Etat islamique (EI), qui a félicité jeudi les tueurs, ou Al-Qaeda, l'organisation du défunt Oussama ben Laden et dont le leadership sur le jihad global est aujourd'hui sérieusement menacé ? Ce qui rend la réponse difficile, c'est que les deux groupes, dans leur surenchère de la violence, revendiquent souvent des attentats et des faits de guerre qui ne sont pas nécessairement imputables à leurs partisans. C'est l'Etat islamique qui a évoqué le premier la tuerie, via un bulletin de sa radio Al-Bayane : «Des héros jihadistes ont tué douze journalistes et blessé plus de dix autres travaillant dans le journal Charlie Hebdo et cela pour venger le prophète Mahomet.» Une déclaration qui n'est pas pour autant une revendication.

Geôlier. C'est vrai que l'EI, qui a le vent en poupe depuis la prise de Mossoul, la deuxième ville d'Irak, et la proclamation d'un califat, le 29 juin, par Abou Bakr al-Baghdadi, fait figure de suspect idéal. D'abord, parce que ses combattants sont sous les bombes de l'aviation française en Irak. Ensuite, parce que c'est cette organisation qui accueille la grande majorité des jeunes jihadistes européens, les Français en particulier, venus épouser la cause du jihad. A l'exemple de Mehdi Nemmouche, l'auteur de la fusillade au Musée juif de Belgique, qui fut le geôlier, avec deux ou trois autres Français, des journalistes occidentaux au Yémen (1).

Mais, selon une source gouvernementale, c'est plutôt l'organisation que dirige l'Egyptien Ayman al-Zawahiri, le successeur de Oussama ben Laden, qui a inspiré les frères Kouachi. «Si vous avez à les rattacher à une famille, il semble que ce soit plutôt Al-Qaeda», a-t-elle indiqué. Reste à déterminer quelle branche d'Al-Qaeda ? Al-Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi), familier des prises d'otages de Français et qui a des comptes à régler avec Paris, ou le Front al-Nusra, la branche syrienne d'Al-Qaeda ? Mohamed Merah, lui, avait séjourné en Afghanistan et au Pakistan, notamment dans un camp d'entraînement de la petite ville de Miranshah, (dans la zone tribale du Waziristan), l'un des centres du jihad global.

Une autre hypothèse retient également l’attention, celle que les deux frères se soient rendus, à partir de 2010, au Yémen pour rejoindre Al-Qaeda dans la Péninsule arabique (Aqpa), une organisation créée en Arabie Saoudite, mais qui a été contrainte de se replier en Syrie.

Proie. En effet, phénomène peu connu, des jeunes Français vont régulièrement dans l'ancienne Arabie heureuse à la fois pour étudier dans un centre de prédication salafiste, Dar al-Hadith («la Maison du Verset») à Dammaj, près de la frontière saoudienne, ou pour se battre contre la rébellion houthie, une secte chiite qui vient, avec l'aide de l'Iran, de s'emparer de la capitale Sanaa. Deux d'entre eux ont d'ailleurs été tués en décembre dans ce pays, en proie, depuis la chute du président Ali Abdullah Saleh, à une situation chaotique qui a permis à l'Aqpa de prospérer et d'établir des camps d'entraînement. Une hypothèse renforcée par une déclaration d'un des deux frères Kouachi, lorsqu'ils ont braqué un automobiliste pour lui voler sa Clio : «Vous direz que c'est Al-Qaeda au Yémen.» Autrement dit, l'Aqpa.

Mais on ne peut exclure que les deux tueurs de mercredi n'aient aucun lien avec des groupes du jihad global, mais qu'ils aient, selon l'expression d'un chercheur, créé «une petite organisation familiale de terreur», sous l'influence ou non du théoricien hispano-syrien Abou Moussab al-Souri (lire Libération du 8 janvier) et de son manuel «Appel à la résistance mondiale».

(1) et non en Syrie, bien sûr, comme écrit dans une première version.