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Libération

La signature d’Al-Qaeda

Fusillade meurtrière à «Charlie Hebdo»dossier
Les frères Kouachi ont eux-mêmes revendiqué leur appartenance à l’organisation jihadiste fondée par Oussama ben Laden.
Image extraite d'une vidéo diffusée le 29 mars 2014 par Al-Malahem Media, la branche médiatique d'Al-Qaeda dans la péninsule arabique, montrant des jihadistes présumés écouter leur chef Nasser al-Wuhayshi, au Yémen. (Photo Al-Malahem Media)
publié le 9 janvier 2015 à 19h56

C'est une phrase prononcée par l'un des deux frères Kouachi au conducteur de la voiture qu'ils venaient de braquer dans le XIXe arrondissement, juste après la tuerie de Charlie Hebdo, selon 20 Minutes : «Vous direz aux médias que c'est Al-Qaeda au Yémen.» L'hypothèse est désormais confirmée. Selon une source proche des services de renseignement français, Chérif, 32 ans, s'est entraîné au Yémen en 2011. Sur son passeport, son seul voyage officiel au Moyen-Orient est à destination du sultanat d'Oman. Un officier est persuadé que «Chérif Kouachi est entré clandestinement au Yémen», pays limitrophe, «pour suivre un entraînement militaire». D'ailleurs, Chérif Kouachi a révélé à BFM TV, vendredi à 10 heures: «Je suis d'Al-Qaeda au Yémen, c'est le cheikh Anwar al-Aulaqi [figure du mouvement, tué en 2011] qui m'a financé.»

Dès jeudi, le New York Times affirmait déjà que son frère aîné, Saïd, y avait été entraîné au tir de précision et à l'arme légère par Al-Qaeda durant quelques mois en 2011. Saïd a également suivi un enseignement religieux au Yémen. Selon un ancien camarade d'université yéménite de Saïd Kouachi, c'est en 2009 que ce jeune Français, décrit comme «discipliné, calme et discret», d'origine algérienne et baptisé «Mohamed», a débarqué pour la première fois à Sanaa pour apprendre l'arabe et les sciences religieuses. Avec de nombreux Européens d'origine nord-africaine, Saïd Kouachi fréquente l'université Al-Imane, un établissement religieux fondé par le fondamentaliste Abdul-Majid al-Zindani ayant servi de vivier à Al-Qaeda au Yémen pour recruter des combattants étrangers.

En France, Saïd Kouachi n’a jamais été arrêté ni condamné et paraissait bien plus discret que son petit frère Chérif, livreur de pizzas embrigadé par un prédicateur du quartier des Buttes Chaumont qui, lui, avait été interpellé fin janvier 2005, sur le point de partir en Irak via Damas (Syrie) pour rejoindre le jihad anti-américain. Il a fait dix-huit mois de détention provisoire, puis a travaillé dans une poissonnerie et respecté son contrôle judiciaire jusqu’à son procès, au printemps 2008.

Liste noire. Le séjour au Yémen de Saïd lève les derniers doutes sur l'appartenance des frères Kouachi - ils figurent tous les deux sur la liste noire de l'aviation américaine. Les deux hommes dépendent bien d'Al-Qaeda, et non de l'Etat islamique. «Le fait qu'ils s'en revendiquent est précisément une manière de se démarquer de l'Etat islamique», explique Romain Caillet, chercheur et consultant basé à Beyrouth.

La filiale yéménite d'Al-Qaeda - Al-Qaeda dans la péninsule Arabique, ou Aqpa, de son vrai nom - est l'une des plus actives de l'organisation (lire ci-contre). Elle est fidèle à l'autorité d'Ayman al-Zawahiri, le successeur d'Oussama ben Laden. Si quelques-uns de ses dirigeants de second rang se sont déclarés «en faveur» de l'Etat islamique, aucun ne lui a fait allégeance. L'un de ses principaux chefs religieux, Harith bin Ghazi al-Nadhari, a même déclaré illégitime son califat, instauré par Abou Bakr al-Baghdadi en Syrie et en Irak. La déclaration d'Al-Nadhari était intervenue quelques jours après que Al-Baghdadi a affirmé vouloir étendre son autorité jusqu'au Yémen.

Dangereux. Les auteurs présumés du massacre à Charlie s'inscrivent donc bien dans le jihad «historique», celui d'Al-Qaeda, né lors de l'invasion soviétique de l'Afghanistan, et non celui de l'Etat islamique apparu en Syrie en 2013. Depuis plusieurs mois, la communauté du renseignement se divisait, certains affirmant que les combattants d'Al-Qaeda étant passés par l'Afghanistan, le Pakistan ou le Yémen, dont certains avaient basculé en Syrie à partir de 2012, restaient les plus dangereux et les plus susceptibles de commettre des attentats en Occident. D'autres craignaient davantage les «loups solitaires», incarnés par de jeunes jihadistes qui reviennent de Syrie après avoir combattu avec l'Etat islamique. L'un n'empêche pas l'autre, Amedy Coulibaly ayant affirmé à BFM TV faire partie de l'Etat islamique .

La revendication d'appartenance à Al-Qaeda éclaire la décision de cibler Charlie Hebdo. Les dirigeants de l'organisation, Al-Zawahiri et Ben Laden, avaient condamné la publication de caricatures de Mahomet. Mercredi, après le massacre, l'un des Kouachi a hurlé : «Le Prophète est vengé.» Pour autant, il n'est pas certain qu'Al-Qaeda dans la péninsule Arabique ait commandité l'attaque. «Ce n'est pas dans ses habitudes, hormis pour les attentats au Yémen ou en Arabie Saoudite», explique un spécialiste du contre-terrorisme. La filiale d'Al-Qaeda promeut plutôt un terrorisme décentralisé, avec des jihadistes autonomes.