
Washington, la bête noire de l’Aqpa
En principe, l’Aqpa n’a pas de contentieux important avec Paris. Néanmoins, la France a eu une longue coopération sécuritaire avec Sanaa. Et, surtout, de bonnes relations sur le plan militaire et sécuritaire avec le régime saoudien, lequel est, avec Washington, la bête noire de l’Aqpa. C’est d’ailleurs dans le royaume qu’est apparu le noyau originel de l’organisation. En fait, l’Aqpa est née de la fusion entre la branche saoudienne et yéménite. La première, exsangue après la forte répression qui a répondu à la campagne sanglante des jihadistes (2003-2005), décide de quitter le royaume pour ne pas disparaître. Elle rejoint donc la seconde. La fusion, en janvier 2009, se passe plutôt bien: la première apporte financements et savoir-faire, la seconde fournit plutôt les hommes de main et les infrastructures nécessaires à la survie de l’organisation.
La figure la plus emblématique d'Aqpa est un religieux né aux Etats-Unis, Cheikh Anouar al-Aulaqi, un des chefs de la puissante tribu du même nom. C'est lui qui va permettre l'essor du groupe dont le chef est Nasser al-Wahayshi, un proche d'Oussama Ben Laden, dont le père est d'ailleurs né dans l'Hadramaout (sud du pays d'où est originaire la famille du défunt chef d'Al-Qaeda). C'est encore Cheikh Anouar al-Aulaqi, selon une source sécuritaire yéménite, qu'a rencontré pendant son séjour sur place Saïd Kouachi.
Le groupe prenant de plus en plus de poids dans la galaxie jihadiste, Washington promet bientôt 10 millions de dollars pour toute information conduisant à la localisation du chef d’Aqpa et de sept autres dirigeants du groupe. Les principaux points d’ancrage de l’Aqpa sont les régions tribales, dont celle de Marib (Est), le pays de la légendaire reine de Saba et du barrage mythique de l’Antiquité. En 2010, Aqpa compterait déjà entre 500 et 600 combattants.
Colis-piégés et avion-cargo
En juillet 2011, Whaychi proclame son allégeance à Ayman al-Zawahiri, nouveau chef d’Al-Qaeda après la mort d’Oussama ben Laden dans un raid des forces spéciales américaines en mai de la même année. Déjà, sa réputation n’est plus à faire: en 2009, un kamikaze d’Aqpa a failli tuer le ministre saoudien de l’Intérieur Mohammed ben Nayef, en se faisant exploser en sa présence. Pour le jour de Noël de la même année, l’Aqpa tente de faire exploser un avion de ligne américain. En novembre 2010, il revendique la responsabilité de l’envoi de colis piégés aux Etats-Unis et de l’explosion d’un avion-cargo américain deux mois plus tôt à Dubaï.
Tant qu’Ali Abdallah Saleh est au pouvoir, l’organisation, qui attaque aussi les forces yéménites, ne peut que se développer à la marge. Sa chute, davantage provoquée par des antagonismes tribaux que par des revendications démocratiques, permet à l’Aqpa de profiter de la situation chaotique qui s’y installe: le pays craque en raison d’une guerre religieuse au Nord - qui a vu l’intervention de l’armée saoudienne -, d’un mouvement séparatiste au Sud et de l’irrédentisme de certaines tribus. Profitant du conservatisme religieux de l’Hadramaout, l’Aqpa y constitue des bastions et s’empare de plusieurs villes.
Le nouveau pouvoir du président Abd Rabbo Mansour Hadi réussit à les en déloger en mai 2012 à la faveur d'une offensive militaire, les repoussant dans les zones montagneuses difficiles d'accès, aidés par les précieux soutiens des Etats-Unis, dont les drones ciblent régulièrement le groupe. Fin 2012, l'un d'eux tue le numéro deux d'Aqpa, le Saoudien Saïd al-Chehri, un Chehri, un ancien de Guantanamo, qui était passé par un programme de réhabilitation. En 2011, Anouar al-Aulaqi, l'imam yéménite né aux Etats-Unis, connaît le même sort.
Les insurgés islamistes somaliens shebab ont rendu hommage vendredi aux «deux héros» de l'attaque contre Charlie Hebdo, félicités pour avoir «coupé la tête des infidèles qui ont insulté notre prophète bien-aimé». Ils ont ajouté que «Ben Laden (avait) prévenu l'Occident que si la liberté d'expression n'avait pas de limites, vous deviez vous attendre à voir couler votre sang». Un hommage qui ne doit rien au hasard: des liens étroits unissent l'Aqpa et les shebabs.