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Libération
Interview

Mahamadou Issoufou : «Nous faisons face à une seule et même internationale terroriste»

10 ans après l'attentat contre Charlie Hebdodossier
Le Nigérien Mahamadou Issoufou, président d’un pays cerné par les groupes islamistes qui sévissent en Libye, au Mali et au Nigeria, appelle à une mobilisation concertée et immédiate contre ceux qui «défigurent l’islam».
Mahamadou Issoufou, président du Niger depuis 2011,dimanche à Paris, (Photo Frédéric Stucin)
publié le 11 janvier 2015 à 18h26

Il a été l'un des premiers chefs d'Etat à exprimer le souhait de venir à Paris pour participer à la marche qui s'est déroulée dimanche : Mahamadou Issoufou, président du Niger depuis 2011, est effectivement concerné. Son pays est entouré de pays menacés par le terrorisme islamiste (Libye, Mali et Nigeria). Il est aussi en première ligne dans le combat pour y mettre un terme. Récemment encore, il fut le premier chef d'Etat africain à appeler à une intervention armée en Libye. Président d'un pays majoritairement musulman, il est aussi le seul à être venu à Paris avec les plus hauts représentants des communautés musulmane et chrétienne de son pays : Cheik Diabiri Omar et monseigneur Michel Cartatéguy (qui est basque). Dimanche, juste avant la marche, il a accordé à Libération une interview exclusive.

Pourquoi venir à Paris ce dimanche ?

Dès que j’ai su que cette marche était prévue, j’ai voulu y participer, conscient que c’était un événement important pour rendre hommage aux victimes et montrer notre solidarité. J’ai aussi tenu à venir avec le président de l’association islamique du Niger et l’archevêque de Niamey. Les symboles sont importants. Au Niger, les religions coexistent pacifiquement, nous adorons tous le même Dieu. Il faut refuser les amalgames et répéter que ces terroristes qui défigurent l’islam sont ses principaux ennemis. Il faut se mobiliser car, si on ne réagit pas aujourd’hui, on le fera demain dans des circonstances encore plus difficiles.

Y a-t-il un lien entre ce qui s’est passé en France cette semaine et la déstabilisation du Sahel par des groupes intégristes ?

Nous faisons face à une seule et même internationale terroriste, qui va du Moyen-Orient au Sahel, en passant par le Yémen. Ces groupes se revendiquent du même combat, comme l'a confirmé l'un des deux assassins des journalistes de Charlie Hebdo. Ils ont des liens entre eux. Mais il y a des dangers qui n'ont pas été anticipés : dès le G8 à Deauville, en 2011, j'ai alerté sur les conséquences néfastes de l'intervention en Libye si on n'accompagnait pas la transition de ce pays. J'ai souligné que la solution pouvait être pire que le mal, mais je n'ai pas été entendu. Aujourd'hui, le chaos règne en Libye et ce pays est devenu le sanctuaire de groupes qui déstabilisent toute la région. Ce qui s'est passé au Mali est en grande partie la conséquence de la chute de Kadhafi. Aujourd'hui encore, c'est de Libye que viennent les armes qui circulent dans le nord du Mali, c'est en Libye que se réfugient les terroristes pour échapper aux forces françaises et africaines.

N’y a-t-il pas aussi une impuissance des démocraties face à ces groupes intégristes ?

Il faut continuer à mutualiser nos forces, c’est la seule solution. Nous le faisons déjà au Sahel avec l’appui de la France à travers le dispositif de sécurité renforcé mis en place par l’opération Barkhane. Il ne faut pas se leurrer : le combat va être long. Reste que l’histoire nous enseigne que les extrémismes sortent toujours perdants, C’est ce qui s’est passé avec le fascisme en Europe, c’est ce qui va se passer avec l’intégrisme islamiste.

En vous plaçant en première ligne dans ce combat, ne risquez-vous pas de faire de votre pays une cible ? Il y a déjà eu plusieurs prises d’otages et attentats au Niger ces dernières années…

Nous n’avons pas d’autre choix que celui de défendre nos valeurs. Or, si le terrorisme se nourrit du sous-développement, il le renforce aussi. Nous avons dû accueillir près de 150 000 réfugiés qui fuyaient les exactions de Boko Haram au Nigeria. Ils s’ajoutent aux 50 000 réfugiés qui ont fui le Mali. C’est une lourde charge pour un pays pauvre. On a souvent dit que l’Afrique ne faisait pas assez face à ces forces déstabilisatrices. Mais l’Afrique n’a pas été consultée quand l’intervention en Libye a été décidée. Et puis, il ne faut pas oublier que, dans un passé récent, nos forces de sécurité ont été affaiblies par les programmes d’ajustement structurel. Le Fonds monétaire international et la Banque mondiale nous ont imposé de ne plus investir dans nos forces armées, considérées comme répressives. Résultat ? Nous nous retrouvons avec des armées peu équipées, mal formées, peu entraînées. Aujourd’hui pourtant, tout le monde est d’accord pour dire que le développement et la démocratie ont aussi besoin de sécurité, ce sont trois piliers indissociables.

Le drame qui s’est déroulé en France n’éclipse-t-il pas les massacres en Afrique, où Boko Haram tue dix fois plus ?

Non, il n’y a pas d’émotion sélective. Regardez la mobilisation planétaire suscitée par l’enlèvement des lycéennes de Chibok au Nigeria. Les gens se sentent concernés et se scandalisent pour des drames qui touchent tout le monde. C’est ce qu’on voit aussi avec la marche à Paris.

Vous avez déjà lu Charlie Hebdo ?

Oui, je l’ai lu, et je connaissais certains des journalistes assassinés, comme Wolinski et Cabu. Pour moi, ce drame a aussi une dimension personnelle, mais ça n’empêche pas qu’aujourd’hui, nous sommes tous Charlie.