En Allemagne, on les trouve partout, les Stolpersteine, littéralement les «pierres à trébucher», insérées au milieu des pavés des trottoirs devant les maisons jadis habitées par des victimes de l'Holocauste. Revêtus de laiton gravé, ces pavés de 10 cm de côté portent le nom de victimes dont le dernier logement est connu. «Ici vécut le Dr Dagobert Schlesinger. Né en 1876. Privé de ses droits. Humilié. Mort dans la fuite le 20 juillet 1941» : l'inscription figure sur l'un de ces mémoriaux en miniature au 52 de la Weichselstrasse, dans le quartier de Neukölln, à Berlin. A côté, une seconde pierre : «Ici vécut Erna Schlesinger, née Apolant en 1891. Déportée en 1943. Auschwitz. Assassinée le 13 janvier 1943.»
A l'origine des Stolpersteine, il y a Gunter Demnig, 67 ans, dont la vie a basculé en 1968 après la découverte, dans le grenier familial, de photos montrant son père en uniforme nazi. En 1997, il pose sans autorisation les premiers pavés du souvenir dans le quartier de Kreuzberg, à Berlin. Le mouvement, qui se concevait à l'origine comme artistique - aujourd'hui encore, chaque pavé est gravé à la main -, a entre-temps gagné toutes les villes d'Allemagne, et au-delà. Quelque 50 000 Stolpersteine ont été posées en Europe - en France, pour la première fois en 2013 -, dont 6 000 dans les trottoirs de Berlin. Chaque semaine, de nouveaux pavés sont installés. Partout en Allemagne… sauf à Munich, la ville d'où est parti le nazisme. Le conseil municipal a en effet voté en 2004 l'interdiction des Stolpersteine, sous la pression de la communauté juive. Les pavés seraient livrés sans protection à d'éventuels profanateurs, la mémoire des victimes foulée aux pieds par des passants indifférents. Charlotte Knobloch, 81 ans, ex-présidente du Conseil central des juifs en Allemagne, citoyenne d'honneur de Munich et rescapée de l'Holocauste, y est résolument opposée.
Paul Jordan, citoyen britannique vivant à Manchester, ne comprend pas. En mai 2004, deux plaques ont été apposées avec son accord devant la maison qu'habitaient ses parents dans le centre-ville de Munich. Et retirées le soir même par les services municipaux. «C'est incroyable, ce qui s'est passé», déplore Terry Swartzberg, 61 ans, New-Yorkais de naissance et initiateur du mouvement Stolpersteine dans la capitale bavaroise. Dans son salon, il a conservé les pavés réservés à Siegfried et Paula Jordan, dans l'attente de jours meilleurs, poursuivant les recherches qui lui ont déjà permis de lister les adresses de 4 500 victimes juives de l'Holocauste à Munich. Terry Swartzberg a bon espoir. La nouvelle municipalité, élue au printemps, entend en effet rouvrir le dossier des Stolpersteine. Une décision est attendue pour février.