La classe politique allemande tente de reprendre l’initiative après avoir laissé pendant des semaines la rue au mouvement des Patriotes européens contre l’islamisation de l’Occident, dit «Pegida». Mardi soir, Angela Merkel - qui pourrait avoir goûté à Paris au poids des symboles en politique - participait au côté de la quasi-totalité de son gouvernement, des représentants des syndicats, de la communauté juive et des Eglises catholique et protestante à une manifestation contre l’islamophobie organisée par deux associations musulmanes.
«Signal». Dix mille personnes selon l'AFP se sont réunies dans la soirée devant la Porte de Brandebourg, face à l'ambassade de France, dont le fronton est toujours éclairé des trois mots qui ont fait le tour de la planète, «Je suis Charlie». «Nous allons envoyer un signal fort pour la cohabitation paisible des différentes religions en Allemagne», annonçait Merkel en préambule, tandis que les associations musulmanes insistaient sur la nécessité de «défendre une Allemagne ouverte sur le monde et tolérante, défendant la liberté d'expression et la liberté religieuse».
La chancelière, souvent accusée de ne pas trouver les mots justes, avait surpris lundi soir en recevant son homologue turc, Ahmet Davutoglu. «L'islam appartient à l'Allemagne», avait-elle alors lancé, reprenant les propos en leur temps très contestés de l'ancien président de la République chrétien démocrate (CDU) Christian Wulff.
A Dresde, en revanche, le mouvement Pegida continue à mobiliser contre l'islam, également au nom de Charlie, tentant de surfer sur la vague d'inquiétude provoquée en République fédérale par les trois jours de terreur en France. Près de 25 000 personnes ont de nouveau défilé lundi soir dans un parc de la capitale de la Saxe, en ex-RDA. «Paris est la preuve du bien-fondé de Pegida», a asséné le père du mouvement, Lutz Bachmann, sous les applaudissements. Les figures-clés de Pegida estiment que l'attaque contre Charlie Hebdo illustre «l'incompatibilité de l'islamisme avec la démocratie».
Depuis son lancement cet automne, Pegida n'a cessé de grossir mais sans parvenir à dépasser le cadre de Dresde : 500 manifestants le 20 octobre pour le premier défilé, 3 500 mi-novembre, 10 000 début décembre et 17 500 à la veille de Noël. Pour le douzième rassemblement, mardi, les organisateurs avaient appelé les participants à «porter un brassard noir en signe de deuil pour les victimes du terrorisme à Paris» et à respecter une minute de silence. Mais la riposte «civique» à l'islamophobie s'organise.
«Poing». Lundi soir, 20 000 personnes défilaient dans les rues de Munich pour une société plus tolérante et 30 000 à Leipzig. Samedi, déjà, 35 000 manifestants avaient participé à Dresde au vaste rassemblement anti-Pegida. La presse allemande s'en est félicitée. «Enfin ils tapent du poing sur la table !» s'est réjoui l'hebdomadaire Der Spiegel sur son site.
Le pays a été épargné par le terrorisme avec une seule attaque à ce jour, ciblant en fait les soldats américains en partance pour l’Afghanistan. Un jeune Kosovar commettait le 2 mars 2011 une agression sur le tarmac de l’aéroport de Francfort qui a fait deux morts et deux blessés parmi les GI stationnés en Allemagne. Avec les attentats de Paris, les Allemands se sont pris à douter de leur sécurité. Mais n’entendent plus laisser le terrain à Pegida.