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Au Nigeria, «une ville a été presque rayée de la carte en quatre jours»

Boko Haram, massacre à huis-closdossier
Amnesty International publie plusieurs images satellite des villes de Baga et Doron Baga (appelée aussi Doron Gowon), cibles de Boko Haram la semaine dernière.
Baga et Doron Baga (Doron Gowon), le 7 janvier 2015. (Photo Digital Globe. Amnesty International)
publié le 15 janvier 2015 à 12h30

«C'est une attaque délibérée contre des civils, dont les maisons, les cliniques et les écoles sont maintenant brûlées ou en ruines.» Amnesty International s'alarme de la situation au Nigeria dans un communiqué publié ce jeudi. Des photos satellite comparatives, prises les 2 et 7 janvier, montrent l'ampleur des dégâts provoqués par les attaques de l'organisation islamiste Boko Haram. Le 3 janvier, le groupe a pris pour cible la localité de Baga, sur les rives du lac Tchad, dans l'Etat de Borno, dans le nord du pays. Une base aux mains de militaires tchadiens et nigériens est tombée. Quelques jours plus tard, les islamistes sont revenus pour détruire la ville et les villages alentour.

«Ces images détaillées montrent une dévastation dans des proportions catastrophiques dans deux villes, dont l'une d'elle a été presque rayée de la carte en quatre jours, explique Daniel Eyre, chercheur sur le Nigeria pour Amnesty International. De tous les assauts de Boko Haram que nous avons analysés, c'est le plus large et le plus destructeur. 

Ces photos satellites reposent sur une imagerie en fausses couleurs, qui fait apparaître le vert de la végétation en rouge. Cette technique, qui s'appuie sur les parties non visibles du rayonnement lumineux – infrarouges, ultraviolets, etc. – permet de mettre en évidence des changements de terrain qui seraient moins discernables en «vraies couleurs».

Les photos ne montrent que deux localités : environ 620 bâtiments auraient été détruites à Baga et 3 100 à Doron Baga. Beaucoup d’autres villages ont cependant été attaqués. Les images témoignent aussi de la fuite de nombreux habitants sur le lac Tchad dans les premiers jours de l'attaque. Le 7 janvier, on voit que les bateaux du village ont disparu.

Des témoignages d’horreur

Les témoignages affluent. Un homme d'environ 50 ans a expliqué à Amnesty International ce qui s'est passé à Baga durant l'attaque : «Ils ont tué tant de gens. J'ai vu peut-être 100 personnes tuées. J'ai couru dans la brousse. Pendant qu'ils couraient, ils tiraient et tuaient.» Après s'être caché, il aurait été retrouvé par les hommes de Boko Haram, qui l'auraient détenu pendant quatre jours. «Je ne sais pas combien ils étaient, mais partout où je regardais, il y avait des corps», a aussi déclaré une femme à l'ONG. Un autre témoin a décrit comment ces hommes tuent indistinctement, tout le monde, même les enfants et une femme en train d'accoucher : «La moitié du bébé était sorti et elle est morte comme ça.»

Les islamistes de Boko Haram visent des populations qui sont supposées collaborer avec les forces de sécurité officielles. Les villes qui ont formé des milices, financées par l'Etat et connues sous le nom de Civilian Joint Task Force (JTF) ont particulièrement souffert des attaques. Un témoin a raconté à Amnesty que durant le massacre de Baga, les combattants de Boko Haram cherchaient des membres du JTF. Ils allaient de maison en maison et tiraient sur les hommes en âge de se battre. Les enfants, les femmes et les personnes âgées qui ont survécu étaient poursuivis dans la brousse. Selon une survivante, «Boko Haram a enlevé environ 300 femmes et les a retenues dans une école à Baga. Ils ont relâché les plus vieilles, les mères et la plupart des enfants après quatre jours, mais ont gardé les jeunes femmes.»

Pour le général Chris Olukolade, de l'armée nigériane, qui s'est exprimé cette semaine devant les médias, «à partir de toutes les preuves disponibles, le nombre de personnes qui sont mortes durant cette attaque n'a pas excédé environ 250

«Les images satellite, les histoires des survivants suggèrent que le bilan pourrait être bien plus important», explique Daniel Heyre. Amnesty International a même avancé le nombre de 2000 morts, en attendant des investigations supplémentaires. Depuis le début de l'insurrection de Boko Haram en 2009, environ 13 000 personnes seraient mortes.