Avant de disparaître, en août 2014, Youssoup Nassoulkhanov (prononcer «Youssouf») travaillait comme assistant infographiste à la mairie de Schiltigheim, dans l'agglomération strasbourgeoise. Le maire, Jean-Marie Kutner, a été contacté jeudi soir par les services de renseignements français pour lui annoncer que le jeune homme âgé d'une vingtaine d'années, d'origine tchétchène, aurait été reconnu sur une vidéo siglée Etat islamique, publiée le 14 janvier sur Internet et titrée «Des combattants français au sujet de Charlie Hebdo à Raqqa».
Sans citer l'attaque du 7 janvier, le jeune homme, vêtu chaudement et portant un fusil d'assaut, s'exprime à destination de «tous les Français» : «Nous allons venir en Europe, ces opérations-là seront de plus en plus en France, en Belgique , en Allemagne, en Suisse, partout en Europe et partout en Amérique.» Il suggère à ses «frères qui ne peuvent pas rejoindre les terres de l'Etat islamique : faites votre mieux, faites tout ce que vous pouvez, tuez-les, égorgez-les, brûlez leurs voitures, brûlez leurs maisons.» La vidéo se termine avec les exhortations de deux autres jihadistes s'exprimant également en français. Pour Romain Caillet, doctorant à l'Institut du Proche-Orient, «c'est une vidéo classique de l'Etat islamique : ils aiment bien faire ce type de micros-trottoirs centrés sur des nationalités. On en voit plusieurs fois par semaine, mais mesurer leur impact est difficile.»
Ascenseur. A Schiltigheim, un ancien collègue de la mairie, où Youssoup travaillait depuis mai 2013, n'en revient pas : «Son contrat se passait bien et on lui avait dit qu'on pourrait peut-être le titulariser après trois ans. Il était calme et réservé. Cela me fait mal au cœur. J'ai pris un coup ce matin. Je ne voulais pas y croire.» Le maire le croisait tous les matins dans l'ascenseur : «Il était d'une grande gentillesse et d'une grande politesse.»
Après avoir passé un mois en Tchétchénie en juin, Youssoup Nassoulkhanov ne s’est pas présenté au travail le 14 août, prétextant un rendez-vous chez le médecin. Très inquiet, son père se serait déplacé trois fois à la mairie pour demander de ses nouvelles. Contacté vendredi, il ne souhaitait pas s’exprimer.
Youssoup Nassoulkhanov, qui serait arrivé en France à l'adolescence, habitait chez ses parents, avec ses frères et sœurs. «Je crois que les traditions culturelles tchétchènes étaient un sacré poids dans sa vie», se souvient un collègue.
Talentueux. En mai dernier, il faisait du «street workout», mélange de muscu et d'acrobaties, qui consiste à réaliser des figures sur le mobilier urbain (1). Sa bande s'entraînait dans un parc de la ville. Il était l'un des plus talentueux, peu bavard mais passionné : «Dans notre groupe, il y a toutes les nationalités, se réjouissait-il. On partage entre nous.»
Comment a-t-il basculé ? «La seule réponse que je peux trouver, c'est l'effet boule de neige : l'un part et d'autres suivent, dit Messaoud Boumaza, recteur de l'institut Al-Andalous, à Schiltigheim. Il ne faut pas cantonner le problème à la communauté musulmane. Ce sont des enfants de la France. Ils ont fréquenté l'école de la République.» Youssoup serait le second Schilikois parti faire le jihad en Syrie.
(1) Nous l'avions rencontré pour un reportage non publié pour le Centre universitaire d'enseignement du journalisme (Cuej). Lire également sur Liberation.fr