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Libération

Des milliers de musulmans crient leur colère

Le monde arabe en ébullitiondossier
Du Pakistan à la Jordanie, la une de l’hebdo satirique a provoqué des manifestations d’hostilité.
publié le 18 janvier 2015 à 19h56

Aucune capitale d'un pays musulman, même ceux eux-mêmes aux prises avec le terrorisme, n'a manifesté en hommage aux victimes de la tuerie à Charlie Hebdo. Mais des dirigeants politiques, à Ankara, à Riyad, Islamabad ou Doha, l'avaient regrettée, voire condamnée. Certains Etats avaient même envoyé des représentants, y compris au plus haut niveau, comme le roi Abdallah de Jordanie, le président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, et le Premier ministre turc, Ahmet Davutoglu, à la grande marche de Paris. Avec la publication d'une nouvelle caricature de Mahomet en une de Charlie, le vent a complètement tourné : cette fois, on ne compte plus les manifestations, certaines très violentes, pour condamner l'outrage fait au Prophète.

Drapeaux brûlés. Avec le Niger (lire ci-contre), c'est au Pakistan que les manifestations ont été les plus violentes. Dimanche, dans ce pays où tout ce qui est assimilé au blasphème est puni de mort, des milliers de Pakistanais, proches de partis religieux mais aussi laïcs, continuaient de défiler dans les grandes villes du pays, scandant des slogans hostiles, dont «Mort à Charlie Hebdo» ou «Si tu es Charlie, alors je suis Kouachi». Des drapeaux français ont aussi été brûlés. Au Parlement, les députés ont dénoncé à l'unanimité cette nouvelle caricature, tout comme le Premier ministre, Nawaz Sharif. A Karachi, la contestation avait déjà tourné à l'affrontement, vendredi, devant le consulat français, où un photographe pakistanais de l'Agence France-Presse a été grièvement blessé par balle. A Peshawar, ville meurtrie dernièrement par un terrible massacre de 130 écoliers, un rassemblement - modeste - a eu lieu en hommage aux frères Kouachi.

Est-ce à cause de cette tuerie qui a bouleversé le Pakistan, ou des pénuries d’essence dans la province du Pendjab en plus des coupures de gaz et d’électricité courantes, mais il n’y a pas eu, pour le moment, de mobilisation réellement massive. Dans un pays qui compte 200 millions d’habitants, ils n’étaient que 2 000 dimanche à Karachi et 6 000 à Lahore.

En Iran, pays où les rassemblements ne sont permis que s'ils ont l'aval du gouvernement, des étudiants islamistes ont appelé à manifester lundi devant l'ambassade de France à Téhéran, ce qui a entraîné la fermeture de tous les organismes culturels affiliés. Samedi, la justice a interdit le quotidien Mardom-e Emrouz, qui soutient l'action du président modéré Hassan Rohani, pour avoir publié sur sa une une grande photo de George Clooney (très populaire en Iran) titrée «Je suis Charlie».

«Inconscient». Dans le monde arabe, le rassemblement le plus important s'est tenu à Amman, en Jordanie, où 2 500 manifestants ont défilé derrière des banderoles sur lesquelles on pouvait notamment lire «L'atteinte au Prophète relève du terrorisme mondial». Le roi Abdallah II, qui était pourtant présent à la manifestation parisienne du 11 janvier, a qualifié Charlie Hebdo d'«irresponsable et inconscient». «Même ici, où les gens savent ce que c'est qu'une guerre, ils ont tous été Charlie… Mais le dernier numéro a été reçu comme une grenade dégoupillée, lancée par des irresponsables qui ne se rendent pas compte qu'ils l'envoient dans une foule de fous furieux que ça ne va pas calmer», confiait dimanche une ressortissante française, contrainte désormais de cacher sa nationalité.

Evidemment, les institutions islamiques ont également témoigné de leur colère. Au Qatar, l'Union mondiale des oulémas, dirigée par le prédicateur Youssef al-Qaradaoui, éminence grise des Frères musulmans, a appelé à des «manifestations pacifiques» et critiqué le «silence honteux» de la communauté internationale sur cette «insulte aux religions». Même son de cloche à l'Organisation de la conférence islamique (OCI), qui rassemble 57 pays musulmans. Elle a dénoncé dimanche «la haine de Charlie Hebdo à l'égard des musulmans». En son temps, elle avait déjà laissé condamner à mort Salman Rushdie.