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Libération

En Egypte, la protestation n’atteint pas la rue

Alors que les institutions religieuses jugent la une de «Charlie Hebdo» offensante, la population semble avoir suivi l’appel au calme.
par Nadéra Bouazza, Correspondante au Caire
publié le 18 janvier 2015 à 19h56

La vague de contestation contre Charlie Hebdo n'a pas gagné l'Egypte. Alors que des rassemblements violents embrasent plusieurs capitales du monde musulman (lire ci-contre), Le Caire apparaît aujourd'hui bien calme. Loin des scènes de fureur de 2005 qui avaient suivi la publication des caricatures de Mahomet dans le quotidien danois Jyllands-Posten. Pourtant, quelques jours auparavant, Dar al-Ifta, une institution religieuse académique, publiait un communiqué condamnant la nouvelle une de Charlie Hebdo, qualifiée de «provocation injustifiée pour les sentiments de 1,5 milliard de musulmans à travers le monde». Et de préciser : «Nous appelons tous les musulmans à ne pas participer à des violences.» Une position traditionnelle de Dar al-Ifta et de la prestigieuse autorité sunnite Al-Azhar. «Ces deux institutions ont l'habitude de commenter les publications qui, selon elles, offensent l'islam, analyse Amr Ezzat, spécialiste des questions religieuses à l'Initiative égyptienne pour les droits personnels (EIPR). Elles insistent sur le fait qu'elles refusent la violence. Elles prônent une réponse légale. L'une des demandes classiques d'Al-Azhar devant les Nations unies est notamment le vote d'une une loi contre l'insulte à l'islam.»

Interdiction. En 2005, certains cheikhs avaient conspué les caricatures du Prophète lors du sermon du vendredi. Une prise de position quasi absente cette fois-ci : une heure avant la grande prière, les imams fonctionnaires reçoivent les grandes lignes de leur prêche par le ministère des Affaires religieuses.

Du côté des autorités politiques, la réaction a été d'ordre symbolique et légale : au lendemain de la publication du nouveau numéro de Charlie Hebdo, le président Abdel Fatah al-Sissi a émis un décret permettant l'interdiction de toute publication étrangère offensant la religion, selon la presse égyptienne. Une semaine auparavant, devant un parterre d'oulémas d'Al-Azhar et de représentants du ministère, le raïs égyptien appelait à une «révolution religieuse» au sein de l'islam. Prononcé à l'occasion de l'anniversaire du prophète Mahomet, son discours intervenait quelques jours avant la vague d'attentats à Paris. «Il est inconcevable que la pensée que nous sacralisons, nous, nation [musulmane], soit la source d'inquiétudes, de dangers, de tueries et de destructions. […] Je ne parle pas de religion, mais d'idéologie», a souligné le Président. Des propos remarqués.

Salafisme. Pour Amr Ezzat, si le tempo du discours est bon, sa portée, elle, est limitée : «Toute réforme religieuse demande un minimum de liberté d'expression, une condition qui n'est pas garantie en Egypte. Al-Sissi envoie avant tout un message aux Egyptiens tentés par le salafisme jihadiste de l'Etat islamique.» Une réalité qui menace directement l'Etat égyptien : son armée essuie des pertes dans le Sinaï, repaire de la plus importante branche de l'organisation terroriste.