La vague de contestation contre Charlie Hebdo n'a pas gagné l'Egypte. Alors que des rassemblements violents embrasent plusieurs capitales du monde musulman (lire ci-contre), Le Caire apparaît aujourd'hui bien calme. Loin des scènes de fureur de 2005 qui avaient suivi la publication des caricatures de Mahomet dans le quotidien danois Jyllands-Posten. Pourtant, quelques jours auparavant, Dar al-Ifta, une institution religieuse académique, publiait un communiqué condamnant la nouvelle une de Charlie Hebdo, qualifiée de «provocation injustifiée pour les sentiments de 1,5 milliard de musulmans à travers le monde». Et de préciser : «Nous appelons tous les musulmans à ne pas participer à des violences.» Une position traditionnelle de Dar al-Ifta et de la prestigieuse autorité sunnite Al-Azhar. «Ces deux institutions ont l'habitude de commenter les publications qui, selon elles, offensent l'islam, analyse Amr Ezzat, spécialiste des questions religieuses à l'Initiative égyptienne pour les droits personnels (EIPR). Elles insistent sur le fait qu'elles refusent la violence. Elles prônent une réponse légale. L'une des demandes classiques d'Al-Azhar devant les Nations unies est notamment le vote d'une une loi contre l'insulte à l'islam.»
Interdiction. En 2005, certains cheikhs avaient conspué les caricatures du Prophète lors du sermon du vendredi. Une prise de position quasi absente cette fois-ci : une heure avant la grande prière, les imams fonctionnaires reçoivent les grandes lignes de leur prêche par le ministère des Affaires religieuses.
Du côté des autorités politiques, la réaction a été d'ordre symbolique et légale : au lendemain de la publication du nouveau numéro de Charlie Hebdo, le président Abdel Fatah al-Sissi a émis un décret permettant l'interdiction de toute publication étrangère offensant la religion, selon la presse égyptienne. Une semaine auparavant, devant un parterre d'oulémas d'Al-Azhar et de représentants du ministère, le raïs égyptien appelait à une «révolution religieuse» au sein de l'islam. Prononcé à l'occasion de l'anniversaire du prophète Mahomet, son discours intervenait quelques jours avant la vague d'attentats à Paris. «Il est inconcevable que la pensée que nous sacralisons, nous, nation [musulmane], soit la source d'inquiétudes, de dangers, de tueries et de destructions. […] Je ne parle pas de religion, mais d'idéologie», a souligné le Président. Des propos remarqués.
Salafisme. Pour Amr Ezzat, si le tempo du discours est bon, sa portée, elle, est limitée : «Toute réforme religieuse demande un minimum de liberté d'expression, une condition qui n'est pas garantie en Egypte. Al-Sissi envoie avant tout un message aux Egyptiens tentés par le salafisme jihadiste de l'Etat islamique.» Une réalité qui menace directement l'Etat égyptien : son armée essuie des pertes dans le Sinaï, repaire de la plus importante branche de l'organisation terroriste.